Versailles
Ô Versaille, ô bois, ô portiques,
Marbres vivants, berceaux antiques,
Par les dieux et les rois Elysée embelli,
A ton aspect, dans ma pensée,
Comme sur l’herbe aride une fraîche rosée,
Coule un peu de calme et d’oubli.Paris me semble un autre empire,
Dès que chez toi je vois sourire
Mes pénates secrets couronnés de rameaux,
D’où souvent les monts et les plaines
Vont dirigeant mes pas aux campagnes prochaines,
Sous de triples cintres d’ormeaux.Les chars, les royales merveilles,
Des gardes les nocturnes veilles,
Tout a fui ; des grandeurs tu n’es plus le séjour.
Mais le sommeil, la solitude,
Dieux jadis inconnus, et les arts, et l’étude,
Composent aujourd’hui ta cour.Ah ! malheureux ! à ma jeunesse
Une oisive et morne paresse
Ne laisse plus goûter les studieux loisirs.
Mon âme, d’ennui consumée,
S’endort dans les langueurs ; louange et renommée
N’inquiètent plus mes désirs.L’abandon, l’obscurité, l’ombre,
Une paix taciturne et sombre,
Voilà tous mes souhaits. Cache mes tristes jours,
Et nourris, s’il faut que je vive,
De mon pâle flambeau la clarté fugitive,
Aux douces chimères d’amours.L’âme n’est point encor flétrie,
La vie encor n’est point tarie,
Quand un regard nous trouble et le coeur et la voix.
Qui cherche les pas d’une belle,
Qui peut ou s’égayer ou gémir auprès d’elle,
De ses jours peut porter le poids.J’aime ; je vis. Heureux rivage !
Tu conserves sa noble image,
Son nom, qu’à tes forêts j’ose apprendre le soir,
Quand, l’âme doucement émue,
J’y reviens méditer l’instant où je l’ai vue,
Et l’instant où je dois la voir.Pour elle seule encore abonde
Cette source, jadis féconde,
Qui coulait de ma bouche en sons harmonieux.
Sur mes lèvres, tes bosquets sombres
Forment pour elle encor ces poétiques nombres,
Langage d’amour et des dieux.Ah ! témoin des succès du crime,
Si l’homme juste et magnanime
Pouvait ouvrir son coeur à la félicité,
Versailles, tes routes fleuries,
Ton silence, fertile en belles rêveries,
N’auraient que joie et volupté.Mais souvent tes vallons tranquilles,
Tes sommets verts, tes frais asiles,
Tout à coup à mes yeux s’enveloppent de deuil.
J’y vois errer l’ombre livide
D’un peuple d’innocents, qu’un tribunal perfide
Précipite dans le cercueil.
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André Marie de Chénier, dit André Chénier, né le 30 octobre 1762 à Constantinople et mort guillotiné le 25 juillet 1794 à Paris, est un poète français. Il était le fils de Louis de Chénier. Né à Galata (Constantinople) d’une mère grecque (Elisabeth Lomaca) et d’un père français, Chénier passe quelques années à... [Lire la suite]
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