Vers luisants
À Mlle Pauline Guihal, de Nantes.
J’aime les grands chemins de France – ces allées
De sable fin, où l’or mêle son clair semis -
Qui contournent les monts et longent les vallées,
Dans la placidité des boas endormis.Je les aime surtout, quand les ronces des haies
Leur font comme un ourlet de vert tendre, où reluit
Au soleil du matin le sang des rouges baies,
Et que des fleurs de flamme illuminent la nuit.En Bretagne, souvent, le coup d’oeil est étrange.
Dans certains soirs obscurs, pas un pli de gazon,
Pas un creux des talus que la bruyère frange,
Où la goutte de feu ne rutile à foison.Dans le genêt doré, sous l’ajonc d’émeraude,
Partout la fleur brûlante allume son éclair :
C’est un essaim vivant d’étincelles qui rôde
Dans des lueurs d’aurore et de firmament clair.On dirait les trésors, éparpillés dans l’herbe,
De quelque écrin géant répandu sous nos yeux;
Ou plutôt les fragments de quelque astre superbe
Qu’un choc terrible aurait égrené dans les cieux.
Ce sont des vers luisants. Un soir, un beau soir sombre
Et tiède de printemps – par le chemin qui dort -
Le caprice nous vint de pourchasser dans l’ombre
Le vermisseau trahi par son écharpe d’or.Mon amie avait fait un rets de sa voilette…
- Mon amie!… oh! les bons souvenirs printaniers! -
Et, pendant qu’au hasard je faisais la cueillette,
Le blanc filet gardait les petits prisonniers.J’allais par-ci par-là, perpétrant mes rapines
De broussaille en broussaille où l’insecte avait lui,
Jusque sous l’églantier tout hérissé d’épines,
Dont la griffe souvent vengeait le ver et lui.Et, tout en fouillant l’herbe et les buissons agrestes,
Je m’imaginais voir le vol vertigineux
Des planètes, au fond des profondeurs célestes,
Jalouser le lambeau de tissu lumineux.Qu’ajouterai-je? – Enfin, moisson d’étoiles faite,
Bras dessus, bras dessous, nous rentrons au château;
Tout le monde applaudit, et la petite fête
D’illumination s’improvise aussitôt.Un beau parterre est là devant nous, riche nappe
Où le printemps a mis ses plus fraîches couleurs;
Le voile s’ouvre : un flot phosphorescent s’échappe,
Et des gerbes de feu roulent parmi les fleurs.
L’effet fut radieux. Les recoins les plus ternes
S’éclairèrent: c’était – spectacle inattendu -
Comme une légion de petites lanternes
Sous les feuilles cherchant quelque joyau perdu.
L’effet fut radieux à provoquer l’extase;
Les pétales bleu ciel, bronzés, diamantés,
Les corolles d’argent, de pourpre et de topaze,
Tout fourmilla soudain de magiques clartés.C’étaient des lueurs d’or, des chatoiements de bagues,
Un rayonnant fouillis des plus purs incarnats,
Des reflets opalins aux miroitements vagues,
Noyés dans la rougeur sanglante des grenats.L’air était doux, le soir serein : nous nous assîmes
En face, sur un vieux banc de pierre; et longtemps,
Le regard ici-bas, mais l’âme sur les cimes,
Nous voguâmes au vol des rêves inconstants;Cependant que la nuit, moins sombre et moins voilée,
Nous donnait, par moments, l’illusion de voir
Du grand dôme d’azur la voûte constellée
Se mirer dans les fleurs comme dans un miroir.Le lendemain, hélas! – ici-bas tout s’efface -
Lorsque, le soir venu, pour savourer encor
Le spectacle charmant, nous vînmes prendre place,
Il ne restait plus rien du féerique décor.
Plus de petits follets errants! Par les pelouses,
Les quinconces épais, les cailloux trébuchants,
Et le réseau feuillu des charmilles jalouses,
Les lampyres avaient trouvé la clé des champs.Il en restait à peine un ou deux dont la flamme
Brillait comme à regret, tandis que nous disions :
- Voilà bien le symbole et l’image de l’âme,
Avec ses songes d’or et ses illusions!Tout te sourit d’abord, jeunesse inassouvie;
La lumière et les fleurs couronnent tes festins:
Mais pour le coeur qui veut recommencer la vie,
S’il reste encor des fleurs, les flambeaux sont éteints!
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Louis-Honoré FRÉCHETTE
Louis-Honoré Fréchette (16 novembre 1839 – 31 mai 1908), poète, dramaturge, écrivain et homme politique, est né à St-Joseph-de-la-Pointe-Lévy (Lévis), Québec, Canada. Bien que son père, entrepreneur, soit analphabète, il étudie sous la tutelle des Frères des écoles chrétiennes. De 1854 à 1860, il fait ses études... [Lire la suite]
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