Vendeur
Dans les immenses magasins,
Le commis à voix suborneuse
Envié par tous ses voisins,
Charme une dame promeneuse.– Madame, arrêtez-vous un peu!
Cieux étoilés, flammes fleuries,
Nous avons tout le nouveau jeu
Flamboyant dans nos galeries.Parcourez nos rayons de blanc.
Ne fuyez pas! Voyez nos toiles.
Jamais une Eve sur son flanc
N’eut de telles blancheurs d’étoiles.Quant à nos concurrents songeurs,
Ils n’ont pas des toiles de Frise
Comme en trouvent nos voyageurs.
C’est bien là ce qui les défrise.Pour les mystérieux combats,
Où parfois la victoire est vague,
Nous avons des paires de bas
Qu’on fait passer dans une bague.Grâce à la douceur de nos gants,
Une héroïne, sans paresse,
Peut souffleter les ouragans.
Ils penseront qu’on les caresse.Ah! madame, il n’est pas besoin
De vous faire des plaidoiries
Qui nous entraîneraient trop loin.
Voyez, s’il vous plaît, nos soieries.En ses vertigineux essors,
La Renommée emporte et chante
Nos clairs surahs et nos tussors
Dont le brillant tissu l’enchante.Certes, nos satins merveilleux
Savent avec beaucoup de gloire
Abriter les rocs sourcilleux
Que parent des blancheurs d’ivoire,Et le conducteur du troupeau
Sourit, l’âme pleine de joie,
S’il voit une vivante peau
Tressaillir sous nos peaux de soie.La beauté par nous resplendit,
Car sous quelle défroque a-t-elle,
Franchement, un air plus bandit
Qu’en portant notre brocatelle?Ainsi le bon mercier parla
D’une voix aux flûtes pareille.
Mais à tous ces beaux discours, la
Dame faisait la sourde oreille.– Madame, enfin que voulez-vous?
Dit le commis, chantant sa gamme
Et cherchant les mots les plus doux.
– Ce que je veux? répond la dame.Ah! lorsque le jour est venu,
Le vrai bonheur, c’est d’être aimée
Par un noble coeur ingénu.
Tout le reste n’est que fumée.Comme à l’auberge des Adrets,
On nous vole. Robert Macaire
Poursuit les femmes. Je voudrais
Trouver un amour non précaire,Et surtout que, jamais atteint
Par le sort dont souffrit Hélène,
Ce fidèle amour fût bon teint,
Sans nulle éraflure, et tout laine.– Je vous comprends, dit le commis
Et, les yeux pleins de vagues flammes,
Il ajouta, d’un ton soumis:
Voyez par là. Rayon des âmes!18 février 1890.
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Théodore de BANVILLE
Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du... [Lire la suite]
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