Un soir (I)
Sur des marais de gangrène et de fiel
Des coeurs d’astres troués saignent du fond du ciel.Horizon noir et grand bois noir
Et nuages de désespoir
Qui circulent en longs voyages
Du Nord au Sud de ces parages.Pays de toits baissés et de chaumes marins
Où sont allés mes yeux en pèlerins,
Mes yeux vaincus, mes yeux sans glaives,
Comme escortes, devant leurs rêves.Pays de plomb – et longs égouts
Et lavasses d’arrière-goûts
Et chante-pleure de nausées,
Sur des cadavres de pensées.Pays de mémoire chue en de la vase,
Où de la haine se transvase,
Pays de la carie et de la lèpre,
Où c’est la mort qui sonne à vêpre;Où c’est la mort qui sonne à mort,
Obscurément, du fond d’un port,
Au bas d’un clocher qui s’exhume
Comme un grand mort parmi la brume;Où c’est mon coeur qui saigne aussi,
Mon coeur morne, mon coeur transi,
Mon coeur de gangrène et de fiel,
Astre cassé, au fond du ciel.
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Émile VERHAEREN
Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
- J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
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- L'Ombre est Lustrale et l'Aurore Irisée
Or, Verhaeren, en pyjama bleu ciel,
A dévoré trois tartines de miel.
Puis il a bu beaucoup de café noir,
Entretenant en lui un bel espoir,
Car, jusqu'au soir, il va faire un voyage
Tout en restant dans ces humbles parages.
Il n'ira pas dans les gouffres marins,
Ne suivra pas la voie des pèlerins,
N'a pas besoin de se munir d'un glaive,
Il n'ira pas plus loin que dans ses rêves.
Il fera tel chemin que fait un porc,
Les paysans lui offrent le transport.
Mais son regard du paysage exhume
Plus d'un minois féminin dans la brume.