Un soir
Celui qui me lira dans les siècles, un soir,
Troublant mes vers, sous leur sommeil ou sous leur cendre,
Et ranimant leur sens lointain pour mieux comprendre
Comment ceux d’aujourd’hui s’étaient armés d’espoir,Qu’il sache, avec quel violent élan, ma joie
S’est, à travers les cris, les révoltes, les pleurs,
Ruée au combat fier et mâle des douleurs,
Pour en tirer l’amour, comme on conquiert sa proie.J’aime mes yeux fiévreux, ma cervelle, mes nerfs,
Le sang dont vit mon coeur, le coeur dont vit mon torse ;
J’aime l’homme et le monde et j’adore la force
Que donne et prend ma force à l’homme et l’univers.Car vivre, c’est prendre et donner avec liesse.
Mes pairs, ce sont ceux-là qui s’exaltent autant
Que je me sens moi-même avide et haletant
Devant la vie intense et sa rouge sagesse.Heures de chute ou de grandeur ! – tout se confond
Et se transforme en ce brasier qu’est l’existence
Seul importe que le désir reste en partance,
Jusqu’à la mort, devant l’éveil des horizons.Celui qui trouve est un cerveau qui communie
Avec la fourmillante et large humanité.
L’esprit plonge et s’enivre en pleine immensité ;
Il faut aimer, pour découvrir avec génie.Une tendresse énorme emplit l’âpre savoir,
Il exalte la force et la beauté des mondes,
Il devine les liens et les causes profondes ;
Ô vous qui me lirez, dans les siècles, un soir,Comprenez-vous pourquoi mon vers vous interpelle ?
C’est qu’en vos temps quelqu’un d’ardent aura tiré
Du coeur de la nécessité même, le Vrai,
Bloc clair, pour y dresser l’entente universelle.
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Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
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