Un jeune qui s’en va
Morire.
Oh le printemps ! – Je voudrais paître !…
C’est drôle, est-ce pas : Les mourants
Font toujours ouvrir leur fenêtre,
Jaloux de leur part de printemps !Oh le printemps ! Je veux écrire !
Donne-moi mon bout de crayon
– Mon bout de crayon, c’est ma lyre –
Et – là – je me sens un rayon.Vite !… j’ai vu, dans mon délire,
Venir me manger dans la main
La Gloire qui voulait me lire !
– La gloire n’attend pas demain. –Sur ton bras, soutiens ton poète,
Toi, sa Muse, quand il chantait,
Son Sourire quand il mourait,
Et sa Fête… quand c’était fête !Sultane, apporte un peu ma pipe
Turque, incrustée en faux saphir,
Celle qui va bien à mon type…
Et ris ! – C’est fini de mourir ;Et viens sur mon lit de malade ;
Empêche la mort d’y toucher,
D’emporter cet enfant maussade
Qui ne veut pas s’aller coucher.Ne pleure donc plus, – je suis bête –
Vois : mon drap n’est pas un linceul…
Je chantais cela pour moi seul…
Le vide chante dans ma tête…Retourne contre la muraille.
– Là – l’esquisse – un portrait de toi –
Malgré lui mon oeil soûl travaille
Sur la toile… C’était de moi.J’entends – bourdon de la fièvre –
Un chant de berceau me monter :
« J’entends le renard, le lièvre,
Le lièvre, le loup chanter. »
…Va ! nous aurons une chambrette
Bien fraîche, à papier bleu rayé ;
Avec un vrai bon lit honnête
À nous, à rideaux… et payé !Et nous irons dans la prairie
Pêcher à la ligne tous deux,
Ou bien mourir pour la patrie !…
– Tu sais, je fais ce que tu veux.… Et nous aurons des robes neuves,
Nous serons riches à bâiller
Quand j’aurai revu mes épreuves !
– Pour vivre, il faut bien travailler…– Non ! mourir…
La vie était belle
Avec toi ! mais rien ne va plus…..
À moi le pompon d’immortelle
Des grands poètes que j’ai lus !À moi, Myosotis ! Feuille morte
De Jeune malade à pas lent !
Souvenir de soi… qu’on emporte
En croyant le laisser – souvent !– Décès : Rolla : – l’Académie –
Murger, Baudelaire : – hôpital, –
Lamartine : – en perdant la vie
De sa fille, en strophes pas mal…Doux bedeau, pleureuse en lévite,
Harmonieux tronc des moissonnés
Inventeur de la larme écrite,
Lacrymatoire d’abonnés !…Moreau – j’oubliais – Hégésippe,
Créateur de l’art-hôpital…
Depuis, j’ai la phtisie en grippe ;
Ce n’est plus même original.– Escousse encor : mort en extase
De lui ; mort phtisique d’orgueil.
– Gilbert : phtisie et paraphrase
Rentrée, en se pleurant à l’oeil.– Un autre incompris : Lacenaire,
Faisant des vers en amateur
Dans le goût anti-poitrinaire,
Avec Sanson pour éditeur.– Lord Byron, gentleman-vampire,
Hystérique du ténébreux ;
Anglais sec, cassé par son rire,
Son noble rire de lépreux.– Hugo : l’Homme apocalyptique,
L’Homme-Ceci-tûra-cela,
Meurt, gardenational épique ;
Il n’en reste qu’un – celui-là ! –… Puis un tas d’amants de la lune,
Guère plus morts qu’ils n’ont vécu,
Et changeant de fosse commune
Sans un discours, sans un écu !J’en ai lus mourir !… Et ce cygne
Sous le couteau du cuisinier :
– Chénier – … Je me sens – mauvais signe ! –
De la jalousie. – Ô métier !Métier ! Métier de mourir…
Assez, j’ai fini mon étude.
Métier : se rimer finir !…
C’est une affaire d’habitude.Mais non, la poésie est : vivre,
Paresser encore, et souffrir
Pour toi, maîtresse ! et pour mon livre ;
Il est là qui dort
– Non : mourir !Sentir sur ma lèvre appauvrie
Ton dernier baiser se gercer,
La mort dans tes bras me bercer…
Me déshabiller de la vie !…Charenton. – Avril.
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Tristan CORBIERE
Édouard-Joachim Corbière, dit Tristan Corbière, né le 18 juillet 1845 au manoir de Coat-Congar à Morlaix (Finistère) et mort le 1er mars 1875 à Morlaix, est un poète français. Il est né de l’union d’Édouard Corbière et d’Angélique Aspasie Puyo que 33 ans séparent : à sa naissance, son père est âgé de... [Lire la suite]
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