Poème 'Tristesse au Jardin' de Théodore de BANVILLE dans 'Le sang de la coupe'

Tristesse au Jardin

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Le sang de la coupe"

Un jour, elle passait dans le jardin en feu
Baigné par les zéphyres,
Et des bassins d’azur son petit soulier bleu
Effleurait les porphyres.

Ses pieds polis, pareils dans le bas irisé
A la neige qui tombe,
Parmi le sable d’or avaient l’éclat rosé
Des ailes de colombe.

Elle glissait au bord de ces flots murmurants
Et baignés d’harmonie,
Et portait la lumière en ses doigts transparents,
Comme une Polymnie !

Comme en un lac dormant qui roule des trésors
Sous les rayons de lune,
Cent mille diamants s’allumaient dans les ors
De sa prunelle brune.

Qu’ils étaient beaux, les yeux de cette Alaciel
Plus belle et plus complète,
Ces yeux clairs et profonds où l’océan du ciel
Tout entier se reflète !

On voyait vers leurs feux se courber les pistils
Des fleurs respectueuses,
Et cent reflets emplir les sourcils et les cils
D’ombres voluptueuses.

Et, comme les beaux seins par le flot arrosés
Des Naïades marines,
Le soir te rougissait de tons clairs et rosés,
Nacre de ses narines !

Et, superbes d’orgueil, les blancheurs de ses dents,
Sous ses lèvres hautaines,
Ruisselaient de clartés comme les lys ardents
Penchés sur les fontaines !

Ses lèvres, où luttaient l’amour et son ardeur,
Et les folles paresses,
S’entr’ouvraient aux rayons, tremblantes de pudeur,
Et pleines de caresses.

Ces pourpres, ces fraîcheurs, ces feux éblouissants
Confondaient leurs féeries,
Comme luttent d’éclat les boutons rougissants
Et les roses fleuries.

Et de sa bouche ardente et de sa lèvre en fleur
Mordant les belles lignes,
Folâtraient vaguement le duvet querelleur
Et les ombres des signes.

Comme dans ces jardins où la Jérusalem
De fleurs s’était parée,
Le parfum de ses pas, mieux que tout un harem,
Laissait l’âme enivrée.

Comme un oiseau s’envole, et laisse au firmament
Un bruissement d’ailes,
Sur ses pas murmurait un doux frémissement
De linge et de dentelles.

Et cherchant de son sein la neige et les brasiers
Parmi la robe close,
On sentait vaguement refleurir leurs rosiers
Sous le corsage rose !

Et, sur son col de marbre et ses bras, assouplis
Par toute cette joie,
La brise et le soleil se disputaient les plis
De sa robe de soie !

Mais, tandis que les bruits épars et les accords
De l’univers physique,
Sur ses pas, entraînés au rhythme de son corps,
Se changeaient en musique,

Les ruisseaux et les fleurs, le bosquet souriant
Et toute la Nature
Trembla de jalousie et de honte en voyant
Sa beauté calme et pure.

Le chêne, et sous ses pieds les myosotis bleus,
Jouets du vent rebelle,
Dirent en inclinant leurs fronts baignés de feux :
Mourons, elle est trop belle !

Mourons ! dirent aussi dans leurs nids querelleurs
Les colombes éprises,
Puisque ses petits pieds, sans offenser les fleurs,
Volent comme des brises !

Le saule dit : Mourez, feuilles des tristes vœux,
Le long de mes épaules,
Puisque le vent du soir aime mieux ses cheveux
Que les cheveux des saules !

Fanez-vous, ô mes fleurs, dirent les fiers rosiers,
Puisqu’en ses lèvres closes
Sa bouche a des parfums dont sont extasiés
Les calices des roses.

Tombez, dirent les lys, ô blanches fleurs des rois !
Les pâles avalanches
Ont des taches auprès de vos pétales droits,
Mais ses dents sont plus blanches !

Mourons, dirent tout bas les filles des sculpteurs
Sous les branches des arbres,
Puisque sa chaste épaule et ses bras enchanteurs
Sont plus blancs que nos marbres !

Bois-moi, dit au soleil en ses palais charmants
La tremblante rosée,
Puisqu’elle a de plus clairs et plus purs diamants
La prunelle arrosée.

Et, dans les clairs bassins, sous les grands peupliers,
Les Naïades se dirent :
Allons dans les palais de cristal oubliés
Où les Dieux se retirent !

Et toi, mon bien-aimé, toi, soleil triomphant,
Sèche ma vague blonde,
Puisque sa joue en fleur et sa lèvre d’enfant
Sont plus douces que l’onde.

Le lierre dit : Brisez mes rameaux sans retour,
Dryades familières,
Puisque sa main vaut mieux pour enchaîner l’amour
Que les cent mains des lierres !

Et toute la Nature, aux flancs d’herbe vêtus,
En qui tout est dictame,
Dit : Je meurs en pleurant tous mes charmes vaincus
Par une jeune femme !

Mais elle répondit : Laisse mes pieds nacrés
Courir sur ta pelouse,
Baise ta fille au front, Nature aux flancs sacrés,
Et ne sois pas jalouse !

Vous ne connaissez pas nos maux qui font mourir
Et nos peines secrètes :
Aimez-vous bien, soyez heureuses de fleurir,
O petites fleurettes !

L’aurore aux doigts rosés reviendra tous les jours
Baiser les vagues blondes,
Et rien ne peut troubler les sereines amours
Du soleil et des ondes !

Sous les grands cieux d’azur vous n’avez pas de toit,
Vous n’avez pas de chaînes :
Rien ne prive jamais la feuille qui la boit
De la sève des chênes !

Les Déesses de marbre au regard contempteur
Plein d’amours éternelles
Chérissent à jamais l’harmonieux sculpteur
Qui les a faites belles.

Et vous, roses, et vous, reines des floraisons,
Les rayons d’or allument
Et refleurissent mieux à toutes les saisons
Vos baisers qui parfument.

O fleur, quand ton amant t’a choisie un matin,
Sans regrets tu l’accueilles
Parmi l’air parfumé de lilas et de thym,
Dans un beau lit de feuilles.

Sur ton cœur virginal, par l’amour embrasé,
Aucun regret ne pèse,
O ma sœur, et surtout jamais rien n’a baisé
La lèvre qui te baise.

Jamais, ô fleur, pas même à l’heure du trépas,
Tu n’es abandonnée !
Tu meurs près d’un amant qui ne te laisse pas
Lorsque tu t’es donnée.

Il ne te laisse pas à ce plaisir amer
Des sanglots pleins de charmes,
Seule, avec le regret, profond comme une mer,
Des baisers et des larmes.

Il ne te laisse pas au souvenir flétri
Où notre lèvre avide
Se brûle, comme au bord d’un grand fleuve tari
Dont le lit serait vide !

Il ne te laisse pas sur une couche en feu,
Soucieuse et lassée,
Le front pâle, mourir sans avoir dit adieu
Et sans être embrassée !

Juin 1846.

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