Stèle du chemin de l’âme
Une insolite inscription horizontale : huit grands caractères, deux par deux, que l’on doit lire, non pas de la droite vers la gauche, mais à l’encontre, — et ce qui est plus,
Huit grands caractères inversés. Les passants clament : « Ignorance du graveur ! ou bien singularité impie ! » et, sans voir, ils ne s’attardent point.
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Vous, ô vous, ne traduirez-vous pas ? Ces huit grands signes rétrogrades marquent le retour au tombeau et le CHEMIN DE L’ÂME, — ils ne guident point des pas vivants.
Si détournés de l’air doux aux poitrines, ils s’enfoncent dans la pierre ; si, fuyant la lumière, ils donnent dans la profondeur solide,
C’est, clairement, pour être lus au revers de l’espace, — lieu sans routes où cheminent fixement les yeux du mort.
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Victor SEGALEN
Victor Segalen, né à Brest le 14 janvier 1878, mort le 21 mai 1919 à Huelgoat, est un poète, et aussi médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Après des études de médecine à l’École du service de santé des armées de Bordeaux, Victor Segalen est affecté en Polynésie française. Il n’aime pas la... [Lire la suite]
Le calligraphe inverse un flot de caractères,
Quiconque veut les lire a besoin d’un miroir.
Huit termes surgissant d’un inframonde noir,
Destinés à l’esprit de l’intérieur des pierres.
Segalen recopie ces mots pleins de mystère
Et tente un bel effort pour nous les faire voir.
Passant, rince la stèle avec un arrosoir :
Le texte brillera sous la couche d’eau claire,
Le ciel s’y mirera comme une steppe immense ;
Tu pourras écouter cette pierre qui pense
Comme si elle était soudain pourvue de voix,
Comme si elle avait accès à ton oreille
Pour y faire passer l’esprit d’une merveille ;
Bon. Mais, il y a un os. Ce truc, c’est du chinois.
Bouleau de Dionysos
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L’écorce du bouleau porte des caractères,
Le sorcier dit de lui qu’il est arbre-miroir ;
Car l’écriture vient d’un inframonde noir
Où les mots sont gravés dans l’intérieur des pierres.
Nul bouleau ne connaît ces mots pleins de mystère
Ni n’a jamais appris comment les faire voir
Aux primates humains, dépourvus de savoir ;
Surtout ceux, parmi eux, qui boivent de l’eau claire.
Mais cet arbre connaît des légendes immenses ;
Beaucoup de sens nous vient du végétal qui pense
Bien qu’il soit solitaire et dépourvu de voix,
Car un proverbe dit: « Le bois n’a pas d’oreilles »
Dont aucun arbre n’a, ce qui n’est pont merveille ;
Sauf, me dit un ancien, quelques bouleaux chinois.
Démon du sentier
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C’est un démon paisible, il a bon caractère,
Son âme est sans venin, son esprit n’est pas noir ;
Il n’est point abrité par un noble manoir,
Mais bien par une ruine, un humble tas de pierres.
Son tranquille intellect n’a percé nul mystère,
Il voit dans le réel ce que chacun peut voir ;
Il ne nous vante point son modeste savoir,
Son discours est limpide et sa parole est claire.
Il ne sait presque rien de l’inframonde immense,
Il n’y va pas souvent, c’est rare qu’il y pense ;
Il préfère marcher ou rêver dans les bois.
Quand vient le vert printemps, la nature s’éveille ;
Devant cette splendeur, le démon s’émerveille,
Trouvant que l’univers a d’élégantes lois.
Goupil vagabond
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Errer, c’est dans mon caractère,
Souvent je quitte mon manoir ;
J’emprunte alors les chemins noirs,
Usant mes griffes sur les pierres.
Je vais en quête de mystères,
De tout ce que l’homme a cru voir ;
Je glane d’étranges savoirs,
Par endroits le monde s’éclaire.
J’arpente un territoire immense ;
Quand j’ai fini, je recommence,
Le vaste ciel me sert de toit.
Les paysages m’émerveillent,
Les archanges qui me surveillent
Disent « Tout ira bien pour toi ».