Sphinx
Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui,
Le roc s’ouvre, repaire où resplendit au centre
Par l’éclat des yeux d’or, de la gorge et du ventre,
La vierge aux ailes d’aigle et dont nul n’a joui.Et l’Homme s’arrêta sur le seuil, ébloui.
- Quelle est l’ombre qui rend plus sombre encor mon antre ?
- L’Amour. – Es-tu le Dieu ? Je suis le Héros. – Entre ;
Mais tu cherches la mort. L’oses-tu braver ? – Oui.Bellérophon dompta la Chimère farouche.
- N’approche pas. – Ma lèvre a fait frémir ta bouche…
- Viens donc ! Entre mes bras tes os vont se briser ;Mes ongles dans ta chair… Qu’importe le supplice,
Si j’ai conquis la gloire et ravi le baiser ?
- Tu triomphes en vain, car tu meurs. – Ô délice !…
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José-Maria de HEREDIA
José-Maria de Heredia (né José María de Heredia Girard 1842-1905) est un homme de lettres d’origine cubaine, naturalisé français en 1893. En tant que poète, c’est un des maîtres du mouvement parnassien, véritable joaillier du vers. Son œuvre poétique est constituée d’un unique recueil, « Les... [Lire la suite]
Le sphinx et le charpentier
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Le fils du charpentier se retire au désert.
En quelques jours de marche, il en atteint le centre
Sans s’accorder de pause et sans charger son ventre.
Un vautour trace haut son cercle dans les airs.
Au bas d’une falaise, un passage entrouvert :
De vieux textes ont dit qu’il débouche sur l’antre
Du sphinx, en précisant : « Surtout, que nul n’y entre
Car l’occupant des lieux est franchement pervers. »
Le fils du charpentier, à cet être farouche,
S’est permis d’apporter des provisions de bouche :
Il a rompu le pain face au monstre écumant.
« Crois-tu qu’un tel présent t’épargne le supplice ?
As-tu, pour te défendre, un quelconque instrument ? »
« Ne t’en fais pas pour moi, cousin, j’ai mon calice. »
Antisphinx d’azur
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C’est l’antisphinx d’azur, un monstre qui m’inspire.
Il transforme en sonnets ce que nous lui disons,
Il répond au courrier, il garde la maison,
Il accueille en son coeur le meilleur et le pire.
Il fut divinisé dans les anciens empires,
Mais cette adoration lui parut un poison ;
Il lui a préféré la tendre floraison
Des jardins où, jadis, les muses s’assoupirent.
Il n’est pas alarmiste, il n’est pas tourmenté,
Cet animal jamais ne va se lamenter :
Il sait que toute vie inflige des blessures
Et que, bien durement, on en souffre parfois,
Mais il peut, quant à lui, porter ces meurtrissures
Sans même avoir l’idée de s’en mordre les doigts.
Triptère acéphale
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Il cogite sans tête et sans bouche il soupire,
Son esprit suit sa loi, son coeur a ses raisons;
Il n’a point de famille, il n’a point de maison,
Et répète souvent «Ça pourrait être pire».
Il n’a jamais été serviteur de l’Empire,
Car un bureau pour lui serait une prison;
Jamais il n’a connu la vie de garnison,
Toujours, en un tel cas, ses pareils déguerpirent.
Aucun obscur démon ne le vient tourmenter,
Sa muse nullement ne va se lamenter;
Son âme toujours suit la voie dont elle est sûre.
Les livres sur sa table, il les relit parfois,
Puis il écrit aussi, sans craindre la censure,
Il doit un jour périr, mais nul ne sait de quoi.