Si…
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.Traduction d’André Maurois dans son livre « Les silences du colonel Brambleen », 1918.
Il existe de nombreuses autres traductions de ce poème, plus fidèles au sens original (Maurois l’ayant mis en rimes)
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Rudyard KIPLING
Rudyard Kipling (Bombay, Inde britannique, le 30 décembre 1865 – Londres, le 18 janvier 1936) est un écrivain britannique. Ses ouvrages pour la jeunesse ont connu dès leur parution un succès qui ne s’est jamais démenti, notamment « Le Livre de la jungle » (1894), « Le Second Livre de la... [Lire la suite]
"Hyènes" de Kipling et ma traduction
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After the burial-parties leave
And the baffled kites have fled;
The wise hyaenas come out at eve
To take account of our dead.
....................Après le funèbre au-revoir,
....................Les vautours restent sur leur faim.
....................Les hyènes sages, sur le soir,
....................Viennent s'occuper du défunt.
How he died and why he died
Troubles them not a whit.
They snout the bushes and stones aside
And dig till they come to it.
....................Les faits de son heure dernière
....................N'ont pour elles aucune importance.
....................Leur museau pousse branches et pierres,
....................Creusant toujours vers leur pitance.
They are only resolute they shall eat
That they and their mates may thrive,
And they know that the dead are safer meat
Than the weakest thing alive.
....................Ce qu'elles veulent, c'est manger,
....................Que du groupe la force augmente.
....................En cadavre est moins de danger
....................Qu'en la moindre chose vivante.
(For a goat may butt, and a worm may sting,
And a child will sometimes stand;
But a poor dead soldier of the King
Can never lift a hand.)
....................(Cornes des boucs, dards des cloportes,
....................Même un enfant se bat parfois ;
....................Un soldat, quand sa chair est morte,
....................Ne lève pas le petit doigt).
They whoop and halloo and scatter the dirt
Until their tushes white
Take good hold in the army shirt,
And tug the corpse to light,
....................Glapissements dans la poussière.
....................Leurs blanches canines saisissent
....................Le mort par l'habit militaire,
....................Hors de la fosse elles le hissent.
And the pitiful face is shewn again
For an instant ere they close ;
But it is not discovered to living men --
Only to God and to those
....................Reparaît le pauvre visage
....................Un instant avant l'hallali.
....................Mais ne le voit nul personnage,
....................Seul Dieu et les démons salis
Who, being soulless, are free from shame,
Whatever meat they may find.
Nor do they defile the dead man's name --
That is reserved for his kind.
....................Qui de vergogne ou d'âme n'ont
....................Et mangent de toute charogne.
....................Hyènes ne tachent point le nom
....................Du mort : c'est humaine besogne.
Merci à "Un jour un poème" d'avoir accepté ma suggestion, celle d'intégrer ce poète dans les références et plus particulièrement ce splendide poème...merci encore !
Magnifique !
Traduction de Françoise MORVAN, sans doute la plus fidèle à la fois dans la forme et le fond, et celle que je préfère.Celle d’André Maurois parue en 1918 dans son livre Les silences du colonel Brambleen est une libre adaptation plutôt qu'une traduction. Voir l’analyse de Françoise Morvan autour des traductions du poème, https://francoisemorvan.com/traductions/un-cas-decole-kipling/).
Si
Si tu peux rester froid quand, tout autour de toi,
La folie brûle et flambe en reproches mesquins ;
Si tu peux garder foi quand tous doutent de toi,
Mais admettre le droit de douter pour chacun ;
Si tu peux patienter, et patienter sans peine,
Comprendre qu’on te ment sans mentir en retour,
Comprendre qu’on te hait sans éprouver de haine,
Et n’être ni trop bon ni trop sage en discours ;
Si tu peux rêver fort — sans oublier le vrai,
Si tu peux penser fort — sans suivre un but flatteur ;
Si tu peux accueillir Triomphe et Insuccès
En faisant part égale à ces deux imposteurs ;
Si tu peux supporter de voir ta vérité
Faussée par des escrocs pour abuser des sots
Ou l’œuvre de ta vie tout soudain dévastée
Et, voûté, démuni, rassembler les morceaux ;
Si tu peux faire un tas de tes plus chers trésors
Et pile ou face, au vol, dans l’instant, tout risquer,
Tout perdre, et repartir au début, sans remords,
Sans un seul mot jamais sur le hasard manqué ;
Si tu peux obliger ton cœur, tes nerfs, ta force,
Tout harassés qu’ils soient, et vieux, à te servir
Quand il ne reste rien de vif sous ton écorce
Hormis la Volonté qui leur dit de tenir…
Si tu peux t'adresser à tous sans t'abaisser,
Frayer avec les rois sans orgueil ni mépris ;
Si ami, ennemi, nul ne peut te blesser,
Si tout homme pour toi compte, mais à son prix,
Et si tu peux remplir la minute implacable,
Seconde après seconde, au rythme où le temps glisse,
Le monde sera tien, dans son être innombrable,
Et – bien mieux – tu seras un Homme, toi, mon fils !
Note : on peut remplacer "glisse" par "sille" (du verbe siller, tracer son sillage en parlant d'un bateau) ou par "stille" (du verbe stiller, couler goutte-à-goutte), et "Homme, toi, mon fils !" par "Femme, toi, ma fille !", plus quelques petits ajouts de "e" dans les deux premiers strophes pour "féminiser" le poème, non par esprit politiquement correct, mais pour atteindre plus facilement une cible (ma fille, par exemple...)