Poème 'Rouvière' de Théodore de BANVILLE dans 'Les exilés'

Rouvière

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Les exilés"

Rouvière ! Il fut de ceux que l’Art prend pour victimes ;
Il fut de ceux qu’on voit se plonger dans la nuit
Où le poète parle avec des mots sublimes
Jetant aux ouragans leurs sanglots et leur bruit.

Ces artistes, ces rois, ces lutteurs qui, sans règles,
S’offrant à la tempête et cherchant ses baisers,
Gravissaient la montagne où fuit le vol des aigles,
En reviennent un jour meurtris, pâles, brisés.

Ils reviennent muets d’épouvante, et la foule,
Indifférente, hélas ! qui ne devine rien,
En voyant la sueur qui sur leurs tempes coule,
Murmure : Qu’a-t-il donc, notre comédien ?

Qu’a-t-il donc ? souffre-t-il de ces chimères vaines ?
Ô bon public, parfois tendre et parfois moqueur !
Il a qu’il sent le froid aigu mordre ses veines,
Parce qu’il t’a donné tout le sang de son cœur.

Oui, c’est étrange. Il est des acteurs qui succombent,
Jouet de leur amour et de leur passion,
Et que le Drame étreint dans sa serre, et qui tombent
Flagellés par le vent de l’Inspiration.

Nous en avons connu : Dorval échevelée
Et Frédérick versant les larmes de Ruy Blas,
Malibran qui tenait sa lyre désolée,
Rachel mourante et blanche, et lui, Rouvière, hélas !

Et lui, car il n’est pas d’audaces impunies !
Lui qui subit l’horreur de son destin fatal,
Parce qu’il s’enivrait au festin des génies
De ce vin enflammé qu’on nomme l’Idéal.

Shakspere l’emportait dans la forêt hantée
Que son puissant esprit peuple d’illusions,
Et l’artiste, vaincu par ce grand Prométhée,
Revenait devant nous en proie aux visions.

Hamlet ! ô jeune Hamlet, sombre amant d’Ophélie !
Pauvre cœur éperdu, que cette morte en fleur
Emporte dans la nuit de sa douce folie,
Non, ce n’est pas en vain qu’on touche à ta douleur.

Tu prononces des mots trop divins pour nos lèvres !
On a le front pensif et le regard flétri
Dès que l’on a connu tes douloureuses fièvres,
Et pour toute la vie on en reste meurtri.

Oh ! que Rouvière aima ce tragique poème
Dont on meurt, et combien c’était un noble jeu,
Quand le peuple naïf, qui l’admire et qui l’aime,
Le voyait se débattre, effaré, sous le Dieu !

Il l’aimait aussi, lui, ce peuple dont la bouche
Hait les vins frelatés que nous lui mélangeons,
Et, traînant devant lui le chef-d’œuvre farouche,
Il lui disait : Voilà Shakspere. Partageons.

Ô fiers combats où l’homme est vaincu par le rêve !
Ô lutte formidable avec le grand aïeul,
Où l’artiste, à la fin, las d’un effort sans trêve,
Succombe ! Il est malade, il est pauvre, il est seul.

Seul ! Non. Lorsque Rouvière en cette angoisse amère
Tombait, sa sœur aux traits désolés et flétris
Le consolait avec la douceur d’une mère,
En attachant sur lui ses yeux, déjà taris !

La pauvre créature essayait de sourire,
Oh ! quand je la revois ainsi, mon cœur se fend !
Et plus que lui malade, et plus que lui martyre,
L’endormait dans ses bras comme un petit enfant.

Ah ! du moins, que mon Ode (ô siècle misérable !)
Les bénisse tous deux, le lutteur abattu,
L’artiste magnanime et sa sœur adorable,
Et garde une louange à leur mâle vertu !

Bénis soient-ils ! bénis soient ceux que sacrifie
L’imbécile faveur du vulgaire odieux,
Et qui pensent, et dont la bouche glorifie
Les poètes sacrés et la race des Dieux.

Car, s’ils n’ont pas suivi la trace coutumière,
Si les chemins battus ont ignoré leurs pas,
Ils laissent après eux des taches de lumière,
Et leur nom est de ceux qui ne périssent pas.

Bénissons-les surtout d’être exilés au monde,
Bénissons-les d’avoir vécu pauvres et nus,
Austères, enfermés dans une foi profonde,
Pleins d’amour pour le temps qui les a méconnus.

Car, dans l’éternité qui leur garde ses fêtes,
La pauvreté, les pleurs, l’injustice, l’affront,
La haine, sont les purs rayons dont seront faites
Les vivantes clartés qu’ils auront sur le front !

Mars 1866.

Poème préféré des membres

Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

  1. Big-Bang

    Des dents rouges et glacées ont mordu le soleil
    Ensanglanté il ouvre une bouche vermeille
    Crachant des incendies
    Les planète affolées dans le ciel qui se fâche
    S'embrassent et se séparent,se dispersent,se cachent
    Dans l'air qui resplendit
    Surgissant du néant et crevant l'univers
    Se révèlent soudain dans un fracas d'enfer,
    Des continents épars
    Un monde abandonné,que mange le désert
    Cependant que s'étend une ombre sur la Terre
    Venue de nulle part

    Daniel Rouvière 2005

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS