Rêve
Sonnet
Je ne puis m’endormir, je rêve, au bercement
De l’averse emplissant la nuit et le silence.
Tout dort, aime, boit, joue, – oh! par la terre immense,
Qui songe à moi, dans la nuit noire, en ce moment ?Le Témoin éternel qui trône au firmament,
Me voit-il ? m’entend-il ? – oh! savoir ce qu’il pense!…
Comme la vie est triste… – à quoi bon l’Existence?…
- Si ce globe endormi mourait subitement!…Si rien ne s’éveillait demain! – oh! quel grand rêve!…
Plus qu’un bloc sans mémoire et sans cœur et sans sève
Qui sent confusément le Soleil et le suit…- Les siècles passent, nul n’est là; plus d’autre bruit
Que la plainte du vent et du flot sur la grève,
Rien qu’un cercueil perdu qui roule par la Nuit.
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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Ce poème est différent de l'original
Le poème présenté ici est la deuxième version de "Rêve" de Jules Laforgue.
Voici la première version :
"Je ne puis m'endormir; je songe, au bercement
De l'averse emplissant la nuit et le silence.
On dort, on aime, on joue. Oh! par la Terre immense,
Est-il quelqu'un qui songe à moi, dans ce moment ?
Le Témoin éternel qui trône au firmament,
Me voit-il ? me sait-il ? Qui dira ce qu'il pense?
Tout est trop triste et sale. - À quoi bon l'Existence?
Si ce Globe endormi gelait subitement ?
Si rien ne s'éveillait demain! Oh! quel grand rêve!
Plus qu'un stupide bloc sans mémoire et sans sève
Qui sent confusément le Soleil et le suit.
Les siècles passent. Nul n'est là. Pas d'autre bruit
Que le vent éternel et l'eau battant les grèves....
Rien qu'un Cercueil perdu qui flotte dans la Nuit."
Croisière de l’héraldiste
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L’héraldiste, emporté par le lent bercement
Du grand courant marin, qui progresse en silence,
Traverse un long lambeau de l’Océan immense,
Et notez que cela lui prend un bon moment.
Cinq cent millions de feux brillent au firmament ;
Leur clarté se répand, bien plus qu’on ne le pense.
L’héraldiste n’a point souci de l’existence,
Tous ses petits soucis s’en vont, subitement.
La mer se fait d’azur, comme dans un beau rêve,
Sur les îles, les bois sont éclatants de sève,
L’homme écoute avec joie la mouette qui le suit.
Qu’importe si l’on doit remonter sur la grève,
Retrouver le sol ferme, et le monde, et le bruit :
Survivra la douceur de cette belle nuit.
Hiatus irrationnalis 1933
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Παντα ῥει
Choses que coule en vous la sueur ou la sève,
Formes, que vous naissiez de la forge ou du sang,
Votre torrent n’est pas plus dense que mon rêve,
Et si je ne vous bats d’un désir incessant,
Je traverse votre eau, je tombe vers la grève
Où m’attire le poids de mon démon pensant ;
Seul il heurte au sol dur sur quoi l’être s’élève,
Le mal aveugle et sourd, le dieu privé de sens.
Mais, sitôt que tout verbe a péri dans ma gorge,
Choses qui jaillissez du sang ou de la forge,
Nature –, je me perds au flux d’un élément :
Celui qui couve en moi, le même vous soulève,
Formes que coule en vous la sueur ou la sève,
C’est le feu qui me fait votre immortel amant.
.
« Hiatus irrationalis » est vraiment de Jacques Lacan, voir
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacan#Jeunesse_.281901-1925.29
Un oiseau lacanien
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Le faucon lacanien est un buveur de sève,
Il en fait du nectar, il la transforme en sang,
Il est Horus, le dieu dont le monde est le rêve,
Il parcourt le cosmos de son vol incessant,
Il franchit la montagne et plane sur la grève
Où voudraient l’affronter mille démons pensants ;
Il tourne autour d’une île, il plonge et puis s’élève,
C’est Horus le vainqueur, c’est Horus le puissant;
Nul tigre ne surgit pour le mordre à la gorge,
Il ne craint aucune arme issue d’humaine forge,
Il est maître du temps comme des éléments.
Le peuple contre lui jamais ne se soulève,
Son prêtre dit pour lui des oraisons, sans trêve :
Hathor, la Sainte Vache, en fera son amant.
Faucon visionnaire
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Il apprécie le monde, il en goûte la sève,
Lui qui peut sans effroi verser son noble sang.
C’est un grand voyageur, c’est un oiseau qui rêve,
Son regard est précis, son envol est puissant.
Il salue en passant la mouette sur la grève
Où je les vois tous deux, s’amusant et dansant
Sous la bénédiction du soleil qui s’élève ;
On entend de la mer le murmure incessant.
La licorne survient et chante à pleine gorge,
Reprenant quelques vers qu’un vieux poète forge,
Qui aux textes anciens prennent leurs éléments.
Le faucon, ce penseur, nous dit des choses brèves
Que d’autres animaux vont répétant sans trêve,
Dont je crois me trouver plus sage, assurément.
Voir également
https://paysdepoesie.wordpress.com/2015/09/15/croisiere-heraldiste/
Forêt des bons et mauvais rêves
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La branche sous la brise a bougé doucement
Sans nullement trembler, sans rompre le silence ;
Presque plus d’animaux dans la forêt immense,
Nous l’avons remarqué depuis un bon moment.
Clairs sont les beaux sentiers sous le noir firmament,
Le goupil prédateur les suit quand il y pense ;
Des insectes obscurs mènent leur existence,
Leur destin sans relief s’écoule lentement.
Un cerf voudrait savoir si ce n’est pas un rêve,
Il s’approche d’un arbre à la brûlante sève ;
Son âme l’accompagne et sa crainte le suit.
Or, cette crainte en lui n’aura jamais de trêve,
Ce genre d’animal sursaute au moindre bruit ;
Mais il se calmera quand tombera la nuit.