Remerciement de Théophile à Corydon
Filles du souverain des dieux,
Belles princesses toutes nues
Qui foulez ce mont glorieux
Dont la vertu touche les nues,
Chères germaines du Soleil,
Devant qui la sœur du sommeil
Voit toutes ses fureurs captives,
Descendez de ce double mont,
Et ne vous montrez point rétives
Quand le mérite vous semond.
Derechef pour l’amour de moi,
Saintes filles de la Mémoire,
Si vous avez congé du Roi
D’interrompre un peu son histoire,
Suivez ce petit trait de feu
Dont votre frère perce un peu
L’obscurité de ma demeure;
Déesses, il vous faut hâter,
Le Soleil n’a que demi-heure
Tous les jours à me visiter.
Mais quel éclat dans ce manoir
Chasse l’obscurité de l’ombre?
D’où vient qu’en ce cachot si noir
On ne trouve plus rien de sombre?
Invisibles divinités
Qui par mes importunités
Etes si promptement venues,
Dieux! que je me dirai content
De vous avoir entretenues
Malgré ceux qui m’en veulent tant!
Dites-moi, car c’est le sujet
Pour qui ma passion vous presse,
Quel doit être aujourd’hui l’objet
De votre immortelle caresse.
Faites que vos divins regards
Le cherchent en toutes les parts!
Où mes amitiés sont allées.
Ah! qu’il paraît visiblement!
Muses, vous êtes appelées
Pour Corydon tant seulement.
Est-ce vous le seul des vivants
Qui n’avez point perdu courage
Pour la fureur de tant de vents
Qui conspirent à mon naufrage,
Vous seul capable de pitié,
Qu’une si longue inimitié,
Contre moi si fort obstinée
N’a jamais encore abattu,
Et qui suivez ma destinée
Jusqu’aux abois de ma vertu?
Et tant de lâches courtisans
Dont j’ai si bien flatté la vie,
Contre moi sont les partisans
Ou les esclaves de l’envie!
Aujourd’hui ces esprits abjects
Ploient à tous les faux objets
Que leur offre la calomnie,
Et n’osent d’un mot seulement
S’opposer à la tyrannie
Qui me creuse le monument.
Ce ne sont que mignards de lit,
Ce sont des courages de terre
Que la moindre vague amollit,
Et qui n’ont qu’un éclat de verre;
Ce n’est que mollesse et que fard;
Leurs sens, leurs voix et leur regard
Ont toujours diverse visée,
Et pour le mal et pour le bien
Ils ont une âme divisée
Qui ne peut s’assurer de rien.
Ces cœurs où l’ennemi de Dieu
A logé tant de perfidie
Qu’on n’y saurait trouver de lieu
Pour une affection hardie,
Ils n’ont jamais d’ami si cher
Que sa mort les puisse empêcher
De quelque visite ordinaire,
Où depuis le matin au soir
Bien souvent ils n’ont rien à faire
Que se regarder et s’asseoir.
Mais que peut-on contre le sort?
Laissons là ces vilaines âmes,
Leur lâcheté n’a point de tort;
Ils naquirent pour être infâmes;
La fortune aux yeux aveuglés,
Aux mouvements tous déréglés,
Les a conçus à l’aventure
Et sous un astre transporté
Qui cheminait contre nature
Quand il leur versa sa clarté.
Vous êtes né tout au rebours
De leurs influences malines,
L’astre dont vous suivez le cours
Suit les routes les plus divines.
Il est vrai que vous méritez
Au-delà des prospérités
Dont il vous a laissé l’usage;
Si le destin donnait un rang
Selon l’esprit et le courage
Damon serait prince du sang.
O dieux! que me faut-il choisir
Pour louer mon dieu tutélaire?
Que ferai-je en l’ardent désir
Que mon esprit a de vous plaire?
Je dirai partout mon bonheur,
Je peindrai si bien votre honneur
Que la mer qui voit les deux Pôles
Dont se mesure l’univers,
Gardera sur ses ondes molles
Le caractère de mes vers.
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Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]
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