Récits épiques – L’Un ou l’Autre
C’était en Thermidor, à la Conciergerie.
Ils étaient là deux cents, parqués pour la tuerie,
Pêle-mêle, arpentant le sinistre préau.
La Terreur redoublait. Derniers coups du fléau
Sur les épis ! Derniers éclairs de la tempête !
Sur Paris consterné, le sanglant coupe-tête
Fonctionnait sans trêve. Ils étaient là deux cents,
Condamnés ou du moins suspects, tous innocents !
Chaque matin, un homme, à figure farouche,
Entrait, puis, retirant sa pipe de sa bouche
Et lisant bien ou mal ses immondes papiers,
Appelait, par leurs noms souvent estropiés,
Ceux qu’attendait dehors la fatale charrette.
Mais l’âme de chacun à partir était prête ;
Le nouveau condamné, sans même avoir frémi,
Se levait, embrassait à la hâte un ami
Et répondait : « Présent ! a à l’appel sanguinaire.
Mourir était alors une chose ordinaire ;
Et tous, les gens du peuple et les gens comme il faut,
Du même pas tranquille allaient à l’échafaud.
Le Girondin mourait comme le royaliste.Or, un jour de ces temps affreux, l’homme à la liste,
En faisant son appel dans le troupeau parqué,
Venait de prononcer ce nom : « Charles Leguay ! »
Quand, parlant à la fois, deux voix lui répondirent ;
Et du rang des captifs deux victimes sortirent.L’homme éclata de rire en disant : « J’ai le choix. »
L’un des deux prisonniers était un vieux bourgeois,
Débris de quelque ancien parlement de province,
En poudre, et qui gardait, sous son habit trop mince,
L’air digne et froid qu’avaient les députés du tiers ;
L’autre, un jeune officier, au front calme, aux yeux fiers,
Très beau sous les haillons de son vieil uniforme.
L’homme à la liste, ayant poussé son rire énorme,
Reprit : « Vous avez donc tous deux le même nom ?
— Nous sommes prêts tous deux, fit le vieillard. — Non, non.
Dit le greffier, il faut s’expliquer, quand je parle. »
Tous les deux se nommaient Leguay ; tous les deux, Charle ;
Tous les deux de la veille ils étaient condamnés.
Alors l’autre, roulant ses gros yeux avinés :
« Du diable si je sais qui des deux je préfère !
Citoyens, arrangez entre vous cette affaire,
Mais sans perdre de temps, car Samson n’attend pas. »Le jeune vint au vieux et lui parla tout bas ;
L’héroïque marché fut très court à débattre :
« Marié, n’est-ce pas ? — Oui. — Combien d’enfants ? — Quatre. »Le greffier répétait en riant : « Dépêchons !
— C’est moi qui dois mourir, dit l’officier. Marchons ! »
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François COPPÉE
François Édouard Joachim Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris où il est mort le 23 mai 1908, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète du souvenir d’une première rencontre... [Lire la suite]
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