Pour ne pas vieillir
Sais-tu que voilà dix ans, ma sincère,
Que nous nous aimons si fort et si bien ?
Et c’est, pour ma route, un poids nécessaire,
Ton bras confiant posé sur le mien.Le charme profond par qui tu m’attires,
Pour jamais, ma douce, a su me fixer,
Depuis le moment où nos deux sourires
Se sont confondus en un seul baiser.Je m’offrais alors pour que tu me prisses ;
Mais cela pouvait ne durer qu’un jour.
L’aveugle désir sème les caprices ;
A peine un sur cent fleurit en amour.Nous les connaissions, les adieux vulgaires,
Comme il s’en fait tant sur le grand chemin.
Le mot : « Pour toujours », je n’y croyais guères ;
Tu songeais : « Cela va finir demain. »Mais nos cœurs, brisés en mainte aventure,
Furent recueillis morceau par morceau.
Notre amour fragile, et qui pourtant dure,
Est fait de débris comme un nid d’oiseau.Sur lui nous veillons tous deux, ma jolie !
Mais, les jours brumeux, je me dis à part,
Avec un soupir de mélancolie,
Que tout ce bonheur est venu bien tard.Je vieillis, hélas ! je descends la rampe,
Et la lassitude alourdit mes pas.
Regarde : l’hiver a mis sur ma tempe
Son premier flocon qui ne fondra pas.Et toi, dont le cœur dans les yeux se montre,
Tu n’es déjà plus l’enfant d’autrefois ;
Et, depuis le jour de notre rencontre,
Dix ans sont passés. Compte sur tes doigts.Mais, quand un amour est tel que le nôtre,
Qu’importe, après tout, qu’on se fasse vieux !
Nous pouvons rester jeunes l’un pour l’autre,
En nous aimant plus, en nous aimant mieux.Vois ces deux époux dont la tête tremble,
Assis côte à côte, heureux, sans parler.
A force de vivre à toute heure ensemble,
Vois, ils ont fini par se ressembler.Descendons comme eux la pente insensible,
Laissons naître et fuir les brèves saisons.
En ne nous quittant que le moins possible,
Nous ne verrons pas que nous vieillissons.C’est la récompense ; on peut la prédire.
Les amants constants gardent, et très tard,
Sur leur lèvre pâle un jeune sourire,
Dans leurs yeux fanés un jeune regard.Au fond du foyer, braise encor vivante,
Toujours la tendresse en eux brûle un peu.
L’habitude, honnête et bonne servante,
Ne laisse jamais s’éteindre le feu.Leurs derniers printemps ont pour hirondelles
Les souvenirs chers de l’ancien bonheur.
Pour ne pas vieillir, soyons-nous fidèles,
Tendre et simple amie, ô cœur de mon cœur !
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François COPPÉE
François Édouard Joachim Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris où il est mort le 23 mai 1908, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète du souvenir d’une première rencontre... [Lire la suite]
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