Pour Mademoiselle D. M. Stances
Je suis bien jeune encor, et la beauté que j’aime
Est jeune comme moi.
J’ai souvent désiré de lui parler moi-même
Pour lui donner ma foi.
J’obéis sans contrainte à l’amour qu’il me donne
Quelque désir qu’il ait,
Et sans lui résister mon âme s’abandonne
A tout ce qui lui plaît.
Si pour lui témoigner combien je suis fidèle
Il me fallait mourir,
Quoiqu’on eût fait la mort mille fois plus cruelle,
L’on m’y verrait courir.
Je jure mon destin et le jour qui m’éclaire
Qu’il est tout mon souci;
Et ce Soleil si beau ne fait que me déplaire
Quand il n’est pas ici.
Lorsque l’Aube, ensuivant la nuit qu’elle a chassée,
Epard ses tresses d’or,
Le premier mouvement qui vient à ma pensée
C’est l’amour d’Alidor.
Je tâche en m’éveillant à rappeler les songes
Que j’ai fait en dormant,
Et dans le souvenir de leurs plaisants mensonges
Je revois mon amant.
Mon esprit amoureux n’est point sans violence
Au milieu du repos.
Je le vois dans la nuit, et parmi le silence
J’entends ses doux propos.
Tous les secrets d’amour que le sommeil exprime,
Mon âme les ressent;
Et le matin je pense avoir commis un crime
Dans mon lit innocent.
De honte à mon réveil, je suis toute confuse,
Et, d’un oeil tout fâché,
Je vois dans mon miroir la rougeur qui m’accuse
D’avoir fait un péché.
Je me veux repentir de cette double offense,
Mais je ne sais comment;
Car mon esprit troublé me fait une défense
Que lui même dément.
Dans mon lit désolé, toute moite de larmes,
Je prie tous les dieux
De maltraiter Morphée à cause que ses charmes
Ont abusé mes yeux.
Hélas! il est bien vrai que je suis amoureuse,
Et qu’en mon saint amour
Je me puis réputer l’amante plus heureuse
Qui soit en cette Cour.
J’adore une beauté si vive et si modeste
Qu’elle peut tout ravir,
Et qui ne prend plaisir d’être toute céleste
Qu’afin de me servir.
Il a dedans ses yeux des pointes et des charmes
Qu’un tigre goûterait;
Et si Mars lui voyait mettre la main aux armes
Il le redouterait.
Il va dans les combats plus fier qu’à la rapine
Ne marche le lion.
Et plus brave qu’Achille ardent à la ruine
Des pompes d’Ilion.
C’est le meilleur esprit et le plus beau visage
Qu’on ait encore vu;
Et les meilleurs esprits n’ont point eu d’avantage
Que mon amant n’ait eu.
La gloire entre les cœurs qui la font mieux paraître
Fait estime du sien;
Et les mieux accomplis ne le sauraient connaître
Sans en dire du bien.
Hors de lui la vertu dans l’âme la plus belle
Est comme en un tombeau,
Et ses plus grands éclats sont moins q’une étincelle
Au prix de ce flambeau.
Je pense en l’adorant que mon idolâtrie
A beaucoup mérité;
Et j’aimerais bien mieux mettre le feu à ma patrie
Que l’avoir irrité.
Dieux! que le beau Pâris eut une belle proie!
Que cet amant fit bien
Alors qu’il alluma l’embrasement de Troie
Pour amortir le sien!
O mon cher Alidor je suis bien moins qu’Hélène
Digne de t’émouvoir!
Mais tu sais bien aussi qu’avecque moins de peine
Tu me pourrais avoir.
Il la fallut prier, mais c’est moi qui te prie;
Et la comparaison
De ses affections avecque ma furie,
Est loin de la raison.
L’impression d’honneur et celle de la honte
Sont hors de mon esprit.
La chasteté m’offense et paraît un vieux conte
Que ma mère m’apprit.
Jamais fille n’aima d’une amitié si forte.
Tous mes plus chers parents,
Depuis que j’ai conçu l’amour que je te porte,
Me sont indifférents.
Ils auraient beau se plaindre et m’appeler barbare.
On me doit pardonner,
Car vers eux je ne suis de mon amour avare
Que pour te la donner.
Reçois ma passion pourvu que ton mérite
N’en soit offensé:
Et vois que mon esprit ne te l’aurait écrite
S’il n’était insensé.
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Théophile de VIAU
Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]
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