Petits bourgeois
Je n’ai jamais compris l’ambition. Je pense
Que l’homme simple trouve en lui sa récompense,
Et le modeste sort dont je suis envieux,
Si je travaille bien et si je deviens vieux,
Sans que mon cœur de luxe ou de gloire s’affame,
C’est celui d’un vieil homme avec sa vieille femme,
Aujourd’hui bons rentiers, hier petits marchands,
Retirés tout au bout du faubourg, près des champs.
Oui, cette vie intime est digne du poète.
Voyez : Le toit pointu porte une girouette,
Les roses sentent bon dans leurs carrés de buis
Et l’ornement de fer fait bien sur le vieux puits.
Près du seuil dont les trois degrés forment terrasse,
Un paisible chien noir, qui n’est guère de race,
Au soleil de midi, dort, couché sur le flanc.
Le maître, en vieux chapeau de paille, en habit blanc,
Avec un sécateur qui lui sort de la poche,
Marche dans le sentier principal et s’approche
Quelquefois d’un certain rosier de sa façon
Pour le débarrasser d’un gros colimaçon.
Sous le bosquet, sa femme est à l’ombre et tricote ;
Auprès d’elle le chat joue avec la pelote.
La treille est faite avec des cercles de tonneaux,
Et sur le sable fin sautillent les moineaux.
Par la porte, on peut voir, dans la maison commode,
Un vieux salon meublé selon l’ancienne mode,
Même quelques détails vaguement aperçus :
Une pendule avec Napoléon dessus
Et des têtes de sphinx à tous les bras de chaise.
Mais ne souriez pas. Car on doit être à l’aise,
Heureux du jour présent et sûr du lendemain,
Dans ce logis de sage observé du chemin…
Là sont des gens de bien, sans regret, sans envie,
Et qui font comme ont fait leurs pères. Dans leur vie,
Tout est patriarcal et traditionnel.
Ils mettent de côté la bûche de Noël,
Ils songent à l’avance aux lessives futures
Et, vers le temps des fruits, ils font des confitures.
Ils boivent du cassis, innocente liqueur !
Et chez eux tout est vieux, tout ; excepté le cœur.
Ont-ils tort, après tout, de trouver nécessaires
Le premier jour de l’an et les anniversaires,
D’observer le carême et de tirer les Rois,
De faire, quand il tonne, un grand signe de croix,
D’être heureux que la fleur embaume et l’herbe croisse,
Et de rendre le pain bénit à leur paroisse ?
– Ceux-là seuls ont raison qui, dans ce monde-ci,
Calmes et dédaigneux du hasard, ont choisi
Les douces voluptés que l’habitude engendre.
– Chaque dimanche, ils ont leur fille avec leur gendre ;
Le jardinet s’emplit du rire des enfants,
Et, bien que les après-midi soient étouffants,
L’on puise et l’on arrose, et la journée est courte.
Puis, quand le pâtissier survient avec la tourte,
On s’attable au jardin, déjà moins échauffé,
Et la lune se lève au moment du café.
Quand le petit garçon s’endort, on le secoue,
Et tous s’en vont alors, baisés sur chaque joue,
Monter dans l’omnibus voisin, contents et las,
Et chargés de bouquets énormes de lilas.– Merci bien, bonnes gens, merci bien, maisonnette,
Pour m’avoir, l’autre jour, donné ce rêve honnête,
Qu’en m’éloignant de vous mon esprit prolongeait
Avec la jouissance exquise du projet.
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François COPPÉE
François Édouard Joachim Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris où il est mort le 23 mai 1908, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète du souvenir d’une première rencontre... [Lire la suite]
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