Perte d’auréole
« Eh ! quoi ! vous ici, mon cher ? Vous, dans un mauvais lieu ! vous, le buveur de quintessences ! vous, le mangeur d’ambroisie ! En vérité, il y a là de quoi me surprendre.
— Mon cher, vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. J’ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire rompre les os. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener incognito, faire des actions basses, et me livrer à la crapule, comme les simples mortels. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !
— Vous devriez au moins faire afficher cette auréole, ou la faire réclamer par le commissaire.
— Ma foi ! non. Je me trouve bien ici. Vous seul, vous m’avez reconnu. D’ailleurs la dignité m’ennuie. Ensuite je pense avec joie que quelque mauvais poëte la ramassera et s’en coiffera impudemment. Faire un heureux, quelle jouissance ! et surtout un heureux qui me fera rire ! Pensez à X, ou à Z ! Hein ! comme ce sera drôle ! »
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Charles BAUDELAIRE
Charles Pierre Baudelaire est un poète français, né à Paris le 9 avril 1821 et mort le 31 août 1867 à Paris. Il est l’un des poètes les plus célèbres du XIXe siècle : en incluant la modernité comme motif poétique, il a rompu avec l’esthétique classique ; il est aussi celui qui a popularisé le poème en... [Lire la suite]
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