Pèlerinage
Où vont les vieux paysans noirs
Par les chemins en or des soirs ?A grands coups d’ailes affolées,
En leurs toujours folles volées,
Les moulins fous fauchent le vent.Le cormoran des temps d’automne
jette au ciel triste et monotone
Son cri sombre comme la nuit.C’est l’heure brusque de la terreur,
Où passe, en son charroi d’horreur,
Le vieux Satan des moissons fausses.Par la campagne en grand deuil d’or,
Où vont les vieux silencieuxQuelqu’un a dû frapper l’été
De mauvaise fécondité :
Le blé haut ne fut que paille,Les bonnes eaux n’ont point coulé
Par les veines du champ brûlé ;
Quelqu’un a dû frapper les sourcesQuelqu’un a dû sécher la vie,
Comme une gorge inassouvie
Vide d’un trait le fond d’un verre.Par la campagne en grand deuil d’or,
Où vont les vieux et leur misère ?L’âpre semeur des mauvais germes,
Au temps de mai baignant les fermes,
Les vieux l’ont tous senti passer.Ils l’ont surpris morne et railleur,
Penché sur la campagne en fleur;
Plein de foudre, comme l’orage.Les vieux n’ont rien osé se dire.
Mais tous ont entendu son rire
Courir de taillis en taillis.Or, ils savent par quel moyen
On peut fléchir Satan païen,
Qui reste maître des moissons.Par la campagne en grand deuil d’or,
Où vont les vieux et leur frisson ?L’âpre semeur du mauvais blé
Entend venir ce défilé
D’hommes qui se taisent et marchent.Il sait que seuls ils ont encore,
Au fond du coeur qu’elle dévore,
Toute la peur de l’inconnu ;Qu’obstinément ils dérobent en eux
Son culte sombre et lumineux,
Comme un minuit blanc de mercure,Et qu’ils redoutent les révoltes,
Et qu’ils supplient pour leurs récoltes
Plus devant lui que devant Dieu.Par la campagne en grand deuil d’or,
Où vont les vieux porter leur voeu ?Le Satan noir des champs brûlés
Et des fermiers ensorcelés
Qui font des croix de la main gauche,Ce soir, à l’heure où l’horizon est rouge
Contre un arbre dont rien ne bouge,
Depuis une heure est accoudé.Les vieux ont pu l’apercevoir,
Avec ses yeux dardés vers eux,
D’entre ses cils de chardons morts.Ils ont senti qu’il écoutait
Les silences de leur souhait
Et leur prière uniquement pensée.Alors, subitement,
En un grand feu de tourbe
et de branches coupées lis ont jeté un chat vivant.Regards éteints, pattes crispées,
La bête est morte atrocement,Pendant qu’au long des champs muets,
Sous le gel rude et le vent froid,
Chacun, par un chemin à soi,
Sans rien savoir s’en revenait.
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Commentaires
Rédiger un commentaire
Émile VERHAEREN
Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
- J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
- Les Meules qui Brûlent
- Les Vêpres
- Les Saints, les Morts, les Arbres et le Vent
- Sois-nous propice et consolante encor...
- S'il était vrai
- La glycine est fanée et morte est...
- Si d'autres fleurs décorent la maison
- Lorsque ta main confie, un soir...
- L'Ombre est Lustrale et l'Aurore Irisée
Satans à plumes
----------
C'est nous les vieux corbeaux-porcs.
Allons vers l'apothéose
Des vaches et des guirlandes,
Et des boulettes de viande,
Et des raisins mûrs qui pendent
Dans la lumière du soir.
C'est nous les vieux corbeaux noirs.
Brusquement chacun se marre.
Nous disons des mots bizarres.
Joyeux comme des cadavres
Dans une ivresse transie,
À Cluny est notre havre,
Dans cette auberge moisie.
C'est nous les corbeaux nocturnes,
Abrutis et taciturnes.
Partisans du moindre effort.
Limpide est notre pensée,
Une foi décomposée.
Dans notre jardin le soir,
Auprès d'un espalier noir,
Est enterré notre espoir.
Cette vie est vénéneuse.
Attendons la moissonneuse
Qui calmera notre fièvre.
Elle apporte le Sabbat,
Le silence sur nos lèvres
Et la fin de nos tracas.
Qui voyage par les plaines
Ne voit jamais de baleine.
Planter rosiers aux Quinconces
Ne fait pousser que des ronces.
Rien ne nous sert de chercher
Quels ont été nos péchés,
Rien ne sert de revenir
Sur les malheurs du désir.
Rien n'est bleu comme la lune,
Les fleurs mourront une à une.