Pascal (1) – Le Sphinx
Lorsque Pascal, rempli de puissance et d’audace,
Jusque devant le Sphinx par sa fougue entraîné,
S’écriait, lui jetant sa réponse à la face :
« Il est vaincu, j’ai deviné ! »Il le voyait déjà, son horrible adversaire,
Couché dans la poussière, au moment d’expirer.
En effet, du rocher dont il faisait son aire
Le monstre vint tomber aux pieds du téméraire,
Mais c’était pour le dévorer.Au tour du Sphinx alors de manquer sa victime.
Dans ce pâle chrétien qu’il croyait sous sa dent
Il trouvait un athlète héroïque, sublime,
Et qui le menaçait tout en se défendant.
Au lieu de reculer, regardez ! il assaille.
En vain son sang jaillit, en vain sa chair tressaille,
Dans leur extrême effort ses membres sont roidis,
Pas sa témérité sa fureur se décèle ;
Le danger l’exaspère, et c’est quand il chancelle
Qu’il porte à l’ennemi ses coups les plus hardis.
Quels assauts ! quels élans ! Jamais lutte pareille
Ne s’était engagée à la clarté des cieux.
Nous les avons toujours dans l’âme et dans l’oreille
Ces cris et ces défis du jeune audacieux.
N’était-il pas vainqueur ? A l’instant, ici même
N’a-t-il point prononcé la parole suprême,
Et résolu d’un mot l’énigme d’ici-bas ?
Un tel aveuglement nous trouble et nous étonne.
Non, non, pauvre Pascal, tu n’as vaincu personne ;
Ta réponse est absurde, et le Sphinx n’en veut pas.
Impassible et muet, que tu frappes ou railles,
Il le garde enfoui dans ses mornes entrailles,
Ce terrible secret que tu crus pénétrer,
Et pour le lui ravir il faudrait l’éventrer.
L’éventrer ! Cet espoir saisit ton âme ardente.
Mais ne sais-tu donc pas, créature imprudente,
Que le monstre éternel est comme un roc épais ?
C’est plutôt du granit que de la chair vivante.
Ce corps invulnérable, à ta grande épouvante,
Te renvoyait tes coups lorsque tu le frappais.
Il faut te voir alors redoubler de courage ;
Inutiles et vains, tes efforts sont navrants ;
Même à certains moments l’impuissance et la rage
T’arrachent malgré toi des accents déchirants.
Des spasmes convulsifs tordent tes lèvres pâles ;
La voix va te manquer ; à bout de cris, tu râles.
Un autre eût succombé ; toi, tu résisteras.
Mais si tu sors vivant d’une étreinte brutale,
C’est que tu sus à temps, dans la lutte inégale,
Appeler tout ton coeur au secours de ton bras.
Ton coeur lui seul, Pascal, en ce péril extrême,
Prête à ce même bras la force et le ressort,
Et lorsque l’instant vint, décisif et suprême,
Il changea tout à coup ton angoisse en essor.
Bien plus, il t’apportait un renfort invincible :
L’Amour qui peut tout croire, et veut tout affirmer.
Appuyé désormais sur ton dogme inflexible,
Tu verrais sans trembler l’univers s’abîmer.
Qu’importe qu’en toi l’homme ait ses moments de transe ?
Le chrétien jusqu’au bout demeure inébranlé.
Parfois le Sphinx, outré d’une telle assurance,
Tentait de t’arracher un rêve, une espérance,
Tu ne lâchas point prise, et l’animal ailé
De ses ongles en vain labourait ta poitrine ;
Tu regardais couler ton sang avec transport,
Dans tes bras déchirés pressant la Foi divine,
Et tu livrais tes flancs pour sauver ton trésor.
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Louise ACKERMANN
Louise-Victorine Ackermann, née Louise-Victorine Choquet (Paris, 30 novembre 1813 – aux environs de Nice, 3 août 1890), était une poétesse française. Louise-Victorine Choquet est née à Paris de parents d’origine picarde. Son père, voltairien et amoureux des lettres, lui fera donner une éducation éloignée de... [Lire la suite]
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