Pascal (4)
Tu nous en fait l’aveu : si quelque chose au monde
T’a jamais irrité, Pascal, et confondu,
C’est que l’on pût dormir en une paix profonde,
Lorsque sur un abîme on se sait suspendu ;
C’est un monstre pour toi que cette indifférence.
Quoi ! ne point s’enquérir du suprême secret
Qui doit remplir nos coeurs d’horreur ou d’espérance ;
Rester dans l’insouci du suprême intérêt ;
Aux choses d’ici-bas restreindre notre envie ;
Sur des spectacles vains tenant fixés nos yeux,
Passer sans demander autre chose à la vie
Que son voile d’un jour pour nous cacher les cieux !
Tu voulais que la peur, l’espoir, l’inquiétude,
Nous enfonçât dans l’âme un aiguillon puissant,
Que notre éternité fût notre unique étude
Et que, dans les tourments d’un désir incessant,
L’homme, s’il ignorait, cherchât en gémissant.
Et tu nous annonçais une heureuse nouvelle :
La destinée humaine éclairée au vrai jour,
Dans notre âme en ruine et pourtant immortelle
Des débris retrouvés de grandeur et d’amour.
Nous donc, qui n’avons pas à craindre ta colère,
Puisque dans l’inconnu nous ne saurions dormir,
Qui sondons et fouillons notre propre misère,
Et qui, selon tes voeux, cherchons, non sans gémir,
Nous sommes accourus à ta voix éclatante.
Par tant de passion nous laissant entraîner,
Nous sommes pleins d’espoir, de terreur et d’attente ;
Nous te suivons, Pascal ! où vas-tu nous mener ?
Aux pieds d’un Dieu jaloux, déloyal, implacable,
Qui hait sa créature et l’aveugle à dessein,
Qui d’un péché lointain la fait naître coupable,
Afin de lui fermer plus aisément son sein ;
D’un Dieu qui, s’acharnant sur sa moindre victime,
A des tourments sans fin pour un moment d’erreur,
Qui défend toute attache et qui nous fait un crime
De ces mêmes instincts qu’il nous a mis au coeur ;
Qui, de tous les côtés, nous traque et nous opprime,
Sourd aux voeux, sourd aux cris, que l’on implore en vain ;
D’un Dieu dont la vengeance est la pensée unique,
Et qui va, couronnant ainsi son oeuvre inique,
Jusqu’à verser un sang innocent et divin.
A quel degré d’effroi, de désir, de démence,
Ton noble coeur, Pascal, était-il donc monté,
Pour aux pieds d’un tel Dieu t’avoir précipité ?
Et tu nous y poussais avec ta véhémence,
Nous défiant ailleurs de trouver la clarté.
L’absurde Foi, voilà ton unique lumière ;
Tu t’es sur ce flambeau jeté de désespoir.
Croire ! aveu d’impuissance et ressource dernière
D’un pauvre être ignorant qui renonce à savoir.
Nous n’y renonçons point. Puisqu’un doute invincible
Sape en ses fondements jusqu’au dernier autel,
Et que notre raison se heurte à l’impossible
Lorsqu’elle croit saisir le fantôme immortel ;
Puisqu’elle ne veut point, résignée à se taire,
Pour résoudre un problème acceptant un mystère,
Dans l’abêtissement lier l’essor humain ;
Surtout puisque devant l’injustice infinie
La conscience en nous, Pascal, s’indigne et nie,
Nous chercherons sans toi sur un autre chemin.Nous voulons avant tout, pour la nacelle humaine,
Un pilote plus sûr que le mensonge saint,
Et nous repousserons toute chimère vaine
Qui, comme rive ou port, nous offrirait son sein ;
Car nous avons élu pour objet de conquête,
Non une illusion, mais la réalité.
Entre un gouffre et le ciel après avoir flotté,
Rencontrant un mirage on s’abuse, on s’arrête.
Nous, nous voulons aller jusqu’à la Vérité :
Prêts à tout affronter, nous marchons droit sur elle.
A notre appel ardent, s’empressant d’accourir,
La Science nous ouvre une route nouvelle,
Et du voile jeté sur la face éternelle
Sa main lève les plis. Qu’allons-nous découvrir ?
Peut-être, au lieu d’un père aimant sa créature,
Une marâtre aveugle et sourde, la Nature,
Et dans son vaste sein, perdu mais enchaîné,
L’Homme qui souffre et meurt, esclave abandonné.
Si tel est notre sort, eh bien ! qu’il s’accomplisse !
Sachons d’abord après ce n’est rien d’obéir.
Délivrés d’ignorer, cet horrible supplice,
Nous trouverons en nous la force de subir.O Résignation ! religion dernière,
Seul culte que doit l’homme à l’ordre universel,
Toi qu’il embrassera quand, malgré sa prière,
Ses dieux l’un après l’autre auront quitté le ciel,
Désapprends-lui les voeux et la plainte inutile ;
Se taire et renoncer, c’est se sanctifier.
Hélas ! tant que la Foi l’aveugle et le mutile,
Il ne peut que trembler, gémir et supplier ;
L’être faible devient alors un être lâche.
Redonne-lui du coeur, et qu’il fasse sa tâche
Bravement, jusqu’au bout, sous les yeux de destin.
A la place ou trônait le caprice divin
Quand il ne verra plus que des lois souveraines,
Qu’il cesse d’adorer et de se prosterner,
Et sache que devant ces inflexibles reines,
Pour tout geste en passant, il n’a qu’à s’incliner.
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Louise-Victorine Ackermann, née Louise-Victorine Choquet (Paris, 30 novembre 1813 – aux environs de Nice, 3 août 1890), était une poétesse française. Louise-Victorine Choquet est née à Paris de parents d’origine picarde. Son père, voltairien et amoureux des lettres, lui fera donner une éducation éloignée de... [Lire la suite]
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