Paris vaisseau de charge
Double vaisseau de charge aux deux rives de Seine,
Vaisseau de pourpre et d’or, de myrrhe et de cinname,
Vaisseau de blé, de seigle, et de justesse d’âme,
D’humilité, d’orgueil, et de simple verveine ;Nos pères t’ont comblé d’une si longue peine,
Depuis mille et mille ans que tu viens à la lame,
Que nulle cargaison n’est si lourde à la rame,
Et que nul bâtiment n’a la panse aussi pleineMais nous apporterons un regret si sévère,
Et si nourri d’honneur, et si creusé de flamme,
Que le chef le prendra pour un sac de prière,Et le fera hisser jusque sous l’oriflamme,
Navire appareillé sous Septime Sévère,
Double vaisseau de charge aux pieds de Notre Dame.1913
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Charles PÉGUY
Charles Pierre Péguy (Orléans, 7 janvier 1873 ; Villeroy, 5 septembre 1914) est un écrivain, poète et essayiste français. Il est également connu sous les noms de plume de Pierre Deloire et Pierre Baudouin.
Son œuvre, multiple, comprend des pièces de théâtre en vers libres, comme « Le Porche du Mystère de la deuxième... [Lire la suite]
Nef d’argent
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Une nef invisible avance sur la Seine.
Seul, un très vieux rêveur voit son reflet d’argent
Et le moine en un livre à la proue se plongeant ;
Or, le nom de la nef est « Songe de Vincennes ».
D’argent aussi s’envole une mouette sereine,
Avec sa soeur de sable un regard échangeant ;
Un astre inframondain, que ne voient pas les gens,
Tire de son sommeil l’invisible sirène.
Le navire parcourt les âges disparus,
Les beaux jours parisiens qu’on ne reverra plus,
Mais que conserve au chaud un vestige de flamme.
Le moine lit des mots dans l’air frais du matin,
Qu’écrivit un abbé du vieux Quartier Latin ;
Il ne voit pas très bien, il lit avec son âme.
Oiseaux presque imperceptibles
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Un détail invisible agrémente la scène
Où figurent aussi des nuages d’argent ;
Peut-être des oiseaux dans l’azur vont plongeant,
Phénomène déjà décrit par Avicenne.
Le ciel ne tremble point,l’atmosphère est sereine,
Il ne fait pas trop chaud, le temps n’est point changeant ;
L’un de l’autre éloigné se déplacent les gens
Et de même dans l’onde agissent les sirènes.
Nous ne regrettons pas nos plaisirs disparus,
Ni la brièveté des chemins parcourus ;
Le malheur finira, la guérison se trame.
Invisibles oiseaux dans l’air frais du matin,
Pline a parlé de vous dans un texte latin ;
Je vous devine un peu, j’entends chanter votre âme.
Nef de plomb
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Ce vaisseau appartient au plus puissant mécène,
Mais sa coque est de plomb, non de fer ni d’argent ;
Il flotte pourtant bien, ce qui surprend les gens,
Par bon vent de travers il remonte la Seine.
Auprès du capitaine, une dame sereine
Médite au gré de l’onde et du décor changeant ;
Quand le soleil décline, à ses amours songeant,
Elle écoute la voix de sa soeur la sirène.
Lorsque de telles nefs ne navigueront plus,
Plusieurs regretteront qu’elles aient disparu ;
Au musée l’on verra leurs rouges oriflammes.
Un marin retraité, buvant dès le matin,
Sur ce thème écrira quelques vers en latin ;
Des mots évocateurs, écrits avec son âme.