Ordre de marche
Plus de stupeur ! Croyez-vous ces palais immobiles ? Lourds à l’égal des bâtis occidentaux ? Assez longtemps ils ont accueilli notre venue : qu’ils s’en viennent à nous, à leur tour.
Debout, l’arche triomphale et sa bannière en horizon et sa devise : Porche oscillant des nues. Des porteurs pour ses hampes droites ; des porteurs aux hampes obliques. Qu’ils gonflent l’épaule, piétinant.
Derrière, le pont en échine de bête arquée : d’un saut il franchira l’eau de jade fuyant sous lui. Qu’on l’attelle à la voie du milieu déroulant son trait impérial.
À gauche et à droite, dans un mouvement balancé, riche d’équilibre, marchent la Tour de la Cloche et la Tour du Tambour aux puissants coeurs sonores de bois et d’airain sur leurs huit pieds éléphantins.
Viennent ensuite les gardes lourdes des tripodes ; et s’ébranlent enfin les poteaux du Palais au toit double ondulant comme un dais, soufflant de haut en bas.
Pour le démarrer, lâchez les cavaleries d’arêtes, les hordes montées aux coins cornus. Et déroulez les nues des balustres, les flammes des piliers. Laissez tourbillonner les feux, vibrer les écailles, se hérisser les crocs et les sourcils du Dragon.
Le beau cortège étalé pour tant de règnes implore qui lui rendra sa vertu d’en-allée. Il ne pèse plus : il attend.
Qu’il se déploie !
Seules immobiles contre le défilé, voici les Pierres mémoriales que nul ordre de marche ne peut toucher ni ébranler. Elles demeurent.
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Victor SEGALEN
Victor Segalen, né à Brest le 14 janvier 1878, mort le 21 mai 1919 à Huelgoat, est un poète, et aussi médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Après des études de médecine à l’École du service de santé des armées de Bordeaux, Victor Segalen est affecté en Polynésie française. Il n’aime pas la... [Lire la suite]
居其所 === Reste en place
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Un dolmen, s’éveillant, soudain se montre agile :
Il extrait ses deux pieds de la profonde argile,
Promène autour de lui un farouche regard,
Calcule son élan, et s’enfuit à l’écart.
Il est bientôt rejoint par trois menhirs rebelles,
Sautillant à l’instar des joueurs de marelle ;
Fou qui s’opposerait à leur déplacement,
Sans doute, il périrait sous leur entassement.
Seule, une lourde stèle, immobile, impériale,
Conserve sa posture hautement mémoriale.
Une courte inscription suffit à l’entraver :
Trois mots de Confucius, qu’elle porte gravés.
Tour de glaise
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Un roi fit une tour d’une modeste argile,
Ce fut pour y passer les derniers de ses jours ;
Mais avant de nourrir ses amis les vautours,
Il voulut profiter de cet abri fragile.
Le corps est délabré, mais l’esprit est agile,
Sa muse d’autrefois l’accompagne toujours ;
Quand il s’adresse au peuple, il parle sans détours,
Son langage est orné d’images d’Évangile.
Or, produire des lois est pour lui sans objet,
Il sourit gentiment de ses anciens projets ;
Ça ne l’empêche point d’exercer sa mémoire.
Il voit des bâtiments le Royaume arpenter,
Par d’étranges chemins, d’ailleurs peu fréquentés,
Sa tour n’a nullement ce style ambulatoire.