Oh ! qu’une, d’elle-même
Oh! qu’une, d’Elle-même, un beau soir, sût venir
Ne voyant plus que boire à mes lèvres, où mourir!…Oh! Baptême!
Oh! baptême de ma Raison d’être!
Faire naître un « Je t’aime! »
Et qu’il vienne à travers les hommes et les dieux,
Sous ma fenêtre,
Baissant les yeux!Qu’il vienne, comme à l’aimant la foudre,
Et dans mon ciel d’orage qui craque et qui s’ouvre,
Et alors, les averses lustrales jusqu’au matin,
Le grand clapissement des averses toute la nuit! Enfin!Qu’Elle vienne! et, baissant les yeux
Et s’essuyant les pieds
Au seuil de notre église, ô mes aïeux
Ministres de la Pitié,
Elle dise :« Pour moi, tu n’es pas comme les autres hommes,
« Ils sont ces messieurs, toi tu viens des cieux.
« Ta bouche me fait baisser les yeux
« Et ton port me transporte
« Et je m’en découvre des trésors!
« Et je sais parfaitement .que ma destinée se borne
« (Oh, j’y suis déjà bien habituée!)
« te suivre jusqu’à ce que tu te retournes,
« Et alors t’exprimer comment tu es!« Vraiment je ne songe pas au reste; j’attendrai
« Dans l’attendrissement de ma vie faite exprès.
« Que je te dise seulement que depuis des nuits je pleure,
« Et que mes sœurs ont bien peur que je n’en meure.« Je pleure dans les coins, je n’ai plus goût à rien;
« Oh, j’ai tant pleuré dimanche dans mon paroissien!« Tu me demandes pourquoi toi et non un autre,
« Ah, laisse, c’est bien toi et non un autre.« J’en suis sûre comme du vide insensé de mon cœur
« Et comme de votre air mortellement moqueur. »
Ainsi, elle viendrait, évadée, demi-morte,
Se rouler sur le paillasson que j’ai mis à cet effet devant ma porte.
Ainsi, elle viendrait à Moi avec des yeux absolument fous,
Et elle me suivrait avec ces yeux-là partout, partout!
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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Un grand poème d'amour, avec une touche d'ironie, comme toujours chez Laforgue, ce poète encore trop méconnu en France. Son oeuvre n'a jamais cessé de m'accompagner dans la vie, depuis que je l'ai découverte quand j'avais une vingtaine d'années.