Nuit blanche
Cette nuit, tu prendras soin que dans chaque vase
Frissonne, humide encore, une gerbe de fleurs.
Nul flambeau dans la chambre – où tes chères pâleurs
Se noieront comme un rêve en des vapeurs de gaze.Pour respirer tous nos bonheurs avec emphase,
Sur le piano triste, où trembleront des pleurs,
Tes mains feront chanter d’angéliques douleurs
Et je t’écouterai, silencieux d’extase.Tels nous nous aimerons, sévères et muets.
Seul, un baiser parfois sur tes ongles fluets
Sera la goutte d’eau qui déborde des urnes,O Soeur ! et dans le ciel de notre pureté
Le virginal Désir des amours taciturnes
Montera lentement comme un astre argenté.
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Albert SAMAIN
Albert Samain, né à Lille le 3 avril 1858, mort à Magny-les-Hameaux le 18 août 1900, est un poète symboliste français. Son père étant décédé alors qu’il n’avait que 14 ans, il dut interrompre ses études pour gagner sa vie et devint employé de commerce. Vers 1880, il fut envoyé à Paris, où il décida de rester.... [Lire la suite]
Hibou plumitif
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Cet oiseau rédacteur accumule les phrases
En l’honneur de la lune, à la gloire des fleurs ;
Aimant du parchemin la subtile pâleur
Et de l’astre des nuits les changements de phase.
Il écrit sans recherche, il écrit sans emphase,
Lui dont la noire plume est de rire et de pleurs ;
Il peut même trouver du charme à ses douleurs
Ou revivre en pensée d’improbables extases.
Il chante en travaillant, car il n’est pas muet,
Écouté bien souvent par quelques trolls fluets
Que contemple, la nuit, le regard de Saturne.
Au cours de son sommeil, dans un rêve enchanté,
Il voit vers lui venir la muse taciturne
Qui visite avec lui des lieux peu fréquentés.
Lord Owl
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Sa devise ancestrale est une courte phrase
Qui au coeur de la nuit fait sourire les fleurs ;
Son plumage arborant une noble pâleur
Est sans nulle arrogance, et dépourvu d’emphase.
Avec la vie nocturne il est toujours en phase,
Son coeur ne connaît point le rire ni les pleurs ;
Lui, maître de son âme et roi de ses ses douleurs,
Accepte le plaisir sans rechercher l’extase.
Ses meilleurs compagnons sont les arbres muets,
La martre délicate et l’écureuil fluet ;
Il ne compte pour dieu que le sombre Saturne.
Dans un tronc, il façonne un palais enchanté
Où vit une dryade aimable et taciturne ;
Déjà, dans leur enfance, ils se sont fréquentés.
Dauphin tordu
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Cet animal s’amuse en imitant nos phrases
Et nous reconnaissons que c’est un beau parleur ;
Ce n’est donc nullement un oiseau de malheur,
C’est un copain d’Ulysse, un proche de Pégase.
Il s’adresse aux poissons, la chose les déphase,
De leur assentiment nul ne voit la couleur ;
Lorsque de la sirène il chante la douleur,
Le crabe est enthousiaste et l’huître est dans l’extase.
Il veut être la voix de ceux qui sont muets
Ou qui n’ont pour parler qu’un organe fluet ;
Il traduit les propos des algues taciturnes.
Le cachalot l’admire, il en est enchanté,
Je les vois partager leurs beuveries nocturnes ;
J’entends les oursins rire et les homards chanter.
Vestale blanche
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Je ne sais pas faire des phrases,
Mon verbe manque de chaleur ;
Mes prières sont sans valeur,
Je mélange les hypostases.
Je rêve d’un ciel de topaze
Car j’aime bien cette couleur ;
J’invoque, contre ma douleur,
Le bienheureux Père Athanase.
Le Créateur est-il muet ?
Nos rites sont-ils désuets ?
J’y songe, dans la paix nocturne.
J’entends l’hymne désenchanté
D’une prêtresse de Saturne ;
Je n’ai pas envie de chanter.