Nocturne
Elle
Le rossignol se plaint dans la ramure noire.
Je t’ai donné mon corps, et mon âme, et ma gloire.Les arbres élancés sont noirs sur le ciel vert.
Vois cette fleur qui meurt dans mon corsage ouvertLe vent est parfumé ce soir comme de l’ambre.
Tu sais qu’on a trouvé ton poignard dans ma chambre.Embrasse-moi. La lune a des teintes de sang.
Mon père est mort, dit-on, hier en me maudissant.Là-haut le rossignol pleure et se désespère.
La cloche qu’on entend, c’est le glas de mon père.Les parfums de ce soir font ployer mes genoux,
Je suis lasse. Un instant, ami, reposons-nous.Que je t’aime ! Au château vois-tu cette lumière ?
C’est un cierge allumé près du lit de ma mère.Ah ! les étoiles !… On dirait un sable d’or.
Ne t’avais-je pas dit que mon père était mort ?Levons-nous. Allons près du lac. Je suis plus forte.
Ne t’avais-je pas dit que ma mère était morte ?Entends le bruit de l’eau… C’est comme des chansons,
C’est comme nos baisers, quand nous nous embrassons.Je ne veux pas savoir d’où tu nous vins, ni même
Savoir quel est ton nom… Que m’importe ? Je t’aime.Le rossignol se tait au bruit de ce beffroi.
Ma mère me disait que ton coeur était froid.La lune fait pâlir le cierge à la fenêtre.
Mon père me disait que tu n’était qu’un traître.Écoute ce grillon. Vois donc ce vers luisant.
Assez de cloche. Assez de cierge – Allons-nous en.J’ai pris des diamants autant qu’on voit d’étoiles,
Partons. Sens le bon vent, qui va gonfler nos voiles.Viens. Qu’est-ce qui retient ta parole et tes pas ?
Lui
Mademoiselle, mais… Je ne vous aime pas.
Les langues
Le russe est froid, presque cruel,
L’allemand chuinte ses consonnes ;
Italie, en vain tu résonnes
De ton baiser perpétuel.Dans l’anglais il y a du miel,
Des miaulements de personnes
Qui se disent douces et bonnes ;
Ça sert, pour le temps actuel.Les langues d’orient ? regret
Ou gloussement sans intérêt.
Chère, quand tu m’appelles Charles,Avec cet accent sang pareil
Le langage que tu me parles,
C’est le français, clair de soleil.
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Charles CROS
Charles Cros, né à Fabrezan (Aude) le 1er octobre 1842, originaire d’une famille de Lagrasse (Aude) et mort à Paris le 9 août 1888, est un poète et inventeur français. Passionné de littérature et de sciences, il fut un temps, de 1860 à 1863, professeur de chimie à l’Institut parisien des Sourds-Muets, avant de se... [Lire la suite]
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Le Poème "nocturne" s'arrête au vers "Mademoiselle, mais, je ne vous aime pas".
les Langues est un autre poème du receuil