Nobles et touchantes divagations sous la Lune
Un chien perdu grelotte en abois à la Lune…
Oh ! Pourquoi ce sanglot quand nul ne l’a battu ?
Et, nuits ! Que partout la même âme ! En est-il une
Qui n’aboie à l’Exil ainsi qu’un chien perdu ?Non, non ; pas un caillou qui ne rêve un ménage,
Pas un soir qui ne pleure : encore un aujourd’hui !
Pas un moi qui n’écume aux barreaux de sa cage
Et n’épluche ses jours en filaments d’ennui.Et les bons végétaux ! Des fossiles qui gisent
En pliocènes tufs de squelettes parias,
Aux printemps aspergés par les steppes kirghyses,
Aux roses des contreforts de l’Hymalaya !Et le vent qui beugle, apocalyptique bête
S’abattant sur des toits aux habitants pourris,
Qui secoue en vain leur huis-clos, et puis s’arrête,
Pleurant sur son cœur à Sept-Glaives d’incompris.Tout vient d’un seul impératif catégorique,
Mais qu’il a le bras long, et la matrice loin !
L’amour, l’amour qui rêve, ascétise et fornique ;
Que n’aimons-nous pour nous dans notre petit coin ?Infini, d’où sors-tu ? Pourquoi nos sens superbes
Sont-ils fous d’au delà les claviers octroyés,
Croient-ils à des miroirs plus heureux que le Verbe,
Et se tuent ? Infini, montre un peu tes papiers !Motifs décoratifs, et non but de l’Histoire,
Non le bonheur pour tous, mais de coquets moyens
S’objectivant en nous, substratums sans pourboires,
Trinité de Molochs, le Vrai, le Beau, le Bien.Nuages à profils de kaïns! vents d’automne
Qui, dans l’antiquité des Pans soi-disant gais,
Vous lamentiez aux toits des temples heptagones,
Voyez, nous rebrodons les mêmes Anankès.Jadis les gants violets des Révérendissimes
De la théologie en conciles cités,
Et l’évêque d’Hippone attelant ses victimes
Au char du Jaggernaut œcuménicité ;Aujourd’hui, microscope de télescope ! Encore,
Nous voilà relançant l’Ogive au toujours lui,
Qu’il y tourne casaque, à neuf qu’il s’y redore
Pour venir nous bercer un printemps notre ennui.Une place plus fraîche à l’oreiller des fièvres,
Un mirage inédit au détour du chemin,
Des rampements plus fous vers le bonheur des lèvres,
Et des opiums plus longs à rêver. Mais demain ?Recommencer encore ? Ah ! Lâchons les écluses,
A la fin ! Oublions tout ! Nous faut convoyer
Vers ces ciels où, s’aimer et paître étant les muses,
Cuver sera le dieu pénate des foyers !Oh ! L’Éden immédiat des braves empirismes !
Peigner ses fiers cheveux avec l’arête des
Poissons qu’on lui offrit crus dans un paroxysme
De dévouement ! S’aimer sans serments, ni rabais.Oui, vivre pur d’habitudes et de programmes,
Pacageant mes milieux, à travers et à tort,
Choyant comme un beau chat ma chère petite âme,
N’arriver qu’ivre-mort de moi-même à la mort !Oui, par delà nos arts, par delà nos époques
Et nos hérédités, tes îles de candeur,
Inconscience ! Et elle, au seuil, là, qui se moque
De mes regards en arrière, et fait : n’aie pas peur.Que non, je n’ai plus peur ; je rechois en enfance ;
mon bateau de fleurs est prêt, j’y veux rêver à
L’ombre de tes maternelles protubérances,
En t’offrant le miroir de mes et caetera…
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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