Monsieur Coquardeau
Chant Royal.
Roi des Crétins, qu’avec terreur on nomme,
Grand Coquardeau, non, tu ne mourras pas.
Lépidoptère en habit de Prudhomme,
Ta majesté t’affranchit du trépas,
Car tu naquis aux premiers jours du monde,
Avant les cieux et les terres et l’onde.
Quand le métal entrait en fusion,
Titan, instruit par une vision
Que son travail durerait la semaine,
Fondit d’abord, et par provision,
Le front serein de la Bêtise humaine.On t’a connu dans Corinthe et dans Rome,
Et sous Colbert, comme sous Maurepas.
Mais sur tes yeux de vautour économe
Se courbait l’arc d’un sourcil plein d’appas,
Et le sommet de ta tête profonde
A resplendi sous la crinière blonde.
Que Gavarni tourne en dérision
Tes six cheveux ! Avec décision
Le démêloir en toupet les ramène :
Un Dieu scalpa, comme l’Occasion,
Le front serein de la Bêtise humaine.Tu te rêvais député de la Somme
Dans les discours que tu développas,
Et, beau parleur grâce à ton majordome,
On te voit fier de tes quatre repas.
Lorsqu’en s’ouvrant ta bouche rubiconde
Verse au hasard les trésors de Golconde,
On cause bas, à ton exclusion,
Ou chacun rêve à son évasion.
Tu n’as jamais connu ce phénomène ;
Mais l’ouvrier doubla d’illusion
Le front serein de la Bêtise humaine.Comme Pâris tu tiens toujours la pomme.
Dans ton salon, qu’ornent des Mazeppas.
On boit du lait et du sirop de gomme,
Et tu n’y peux, selon toi, faire un pas
Sans qu’à ta flamme une flamme réponde.
Dans tes miroirs tu te vois en Joconde.
Jamais pourtant, cœur plein d’effusion,
Tu n’oublias ta chère infusion
Pour les rigueurs d’Iris ou de Climène.
L’espoir fleurit avec profusion
Le front serein de la Bêtise humaine.A ton café, tu te dis brave comme
Un Perceval, et toi même écharpas
Le rude Arpin ; ta chiquenaude assomme.
Lorsque tu vas, les jambes en compas,
On croirait voir un héros de la Fronde,
Ou quelque preux, vainqueur de Trébizonde.
Mais, évitant avec précision
L’éclat fatal d’une collision,
Tu vis dodu comme un chapon du Maine,
Pour sauver mieux de toute lésion
Le front serein de la Bêtise humaine.ENVOI
Prince des sots, un système qu’on fonde
A son aurore a soif de ta faconde.
Toi, tu vivais dans la prévision
Et dans l’espoir de cette invasion :
Le Réalisme est ton meilleur domaine,
Car il charma dès son éclosion
Le front serein de la Bêtise humaine.
Novembre 1856.
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Théodore de BANVILLE
Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du... [Lire la suite]
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