Moine Sauvage
On trouve encor de grands moines que l’on croirait
Sortis de la nocturne horreur d’une forêt.Ils vivent ignorés en de vieux monastères,
Au fond du cloître, ainsi que des marbres austères.Et l’épouvantement des grands bois résineux
Roule avec sa tempête et sa terreur en eux.Leur barbe flotte au vent comme un taillis de verne,
Et leur œil est luisant comme une eau de caverne.Et leur grand corps drapé des longs plis de leur froc
Semble surgir debout dans les parois d’un roc.Eux seuls, parmi ces temps de grandeur outragée,
Ont maintenu debout leur âme ensauvagée ;Leur esprit, hérissé comme un buisson de fer,
N’a jamais remué qu’à la peur de l’enfer ;Ils n’ont jamais compris qu’un Dieu porteur de foudre
Et cassant l’univers que rien ne peut absoudre,Et des vieux Christs hagards, horribles, écumants,
Tels que les ont grandis les maîtres allemands,Avec la tête en loque et les mains large-ouvertes
Et les deux pieds crispés autour de leurs croix vertesEt les saints à genoux sous un feu de tourment,
Qui leur brûlait les os et les chairs lentement ;Et les vierges, dans les cirques et les batailles,
Donnant aux lions roux à lécher leurs entrailles ;Et les pénitents noirs qui, les yeux sur le pain,
Se laissaient, dans leur nuit rouge, mourir de faim.Et tels s’useront-ils en de vieux monastères,
Au fond du cloître, ainsi que des marbres austères.
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Émile VERHAEREN
Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
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- S'il était vrai
Arbre sauvage
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Cet arbre est un ermite, et parfois l'on croirait
Qu'il aimerait pousser bien loin d'une forêt,
Peut-être dans un cloître au coeur d'un monastère,
N'ayant pour compagnons que des moines austères.
Lassé de côtoyer les sapins résineux,
Il ne tourne jamais son attention vers eux,
Mais vers le froid brouillard, vers les nuages ternes,
Vers le cyclope âgé qui dort en sa caverne.
Sur ses branches, parfois, peut se percher un coq ;
Le grand chêne, aussitôt, devient froid comme un roc,
Sombre comme serait la vestale outragée
Si au temple venait la foule ensauvagée.
Moine du désert
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La main du pénitent consacre ce qu’il touche,
Le sable du désert embellit son habit ;
Et dans son ermitage où la mouche vrombit,
Nul démon ne s’attaque à ce moine farouche.
Lui qu’on servit jadis, et même à pleines louches,
Ne boit que de sa source au très maigre débit ;
Dans l’effort qu’en ces lieux son pauvre corps subit,
Il fait de sa vertu la racine et la souche.
En prière à midi, dans l’aurore ou le soir,
Jamais dans sa cellule on ne le voit s’asseoir ;
Héros sans étendard, travailleur sans salaire.
Le vent touche la dune et lui donne un frisson,
Elle qui a regret de ses dieux tutélaires
Qu’elle n’entendra plus chanter à l’unisson.
Arbre sans allégeance
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Ma loi, c’est la pensée sauvage,
Car je suis libre comme l’air ;
J’ai l’âme sobre et l’esprit clair,
Que nul désespoir ne ravage.
Je vis heureux, car je suis sage,
Je n’ai point de regrets amers ;
Je ne suis jamais sur les nerfs,
Jamais je ne me mets en rage.
Nul faune de moi n’est épris,
Que personne n’en soit surpris ;
Mais j’aime une dryade douce.
Je n’ai de foi dans aucun dieu,
Qu’il soit d’inframonde ou des cieux ;
Je respecte tout ce qui pousse.