Poème 'Maria' de Jules LEFÈVRE-DEUMIER dans 'Le Parricide'

Maria

Jules LEFÈVRE-DEUMIER
Recueil : "Le Parricide"

Élégie d’une jeune fille

Velut prati
Ultimi flos prœtereunte postquam
Tactus aratro est.
CATULLE.

Nous sommes au printemps, et nos bois sont déserts,
Et le printemps n’a pas, ramenant ses concerts,
Réveillé les oiseaux endormis sous les branches ;
L’aubépine est en deuil, et les faibles pervenches
De leurs boutons flétris s’échappent sans couleurs ;
Les vergers languissans, altérés de chaleurs,
Au lieu de nous donner des fleurs et de l’ombrage,
Balancent des rameaux dépourvus de feuillage ;
Depuis que Maria n’habite plus ces lieux,
Il semble que l’hiver ne quitte pas les cieux.
Je l’appelais ma sœur, elle était la plus belle,
Et la neige d’un jour était moins blanche qu’elle,
Et nos miels savoureux moins doux que sa bonté.
On voyait sur son front folâtrer la gaîté,
Hélas ! et Maria n’attendait pas l’orage
Qui devait emporter l’éclat de son jeune âge ;
Pareille à cette fleur qui, sur le bord d’un champ,
Du soc qui passera ne craint point le tranchant.
Comme un fruit encor verd, dont périt l’espérance,
Quand nous interrogeons trop tôt sa résistance,
Maria périssait, et son mal était lent.
Souvent ma vieille mère assurait en filant,
Que l’amour causait seul cette langueur amère.
L’amour ! oh, non ; jamais je ne croirai ma mère !
Comment pourrait l’amour amener tant d’ennui !
Et cependant ma sœur ne parlait pas de lui…
Le soir, sous des cyprès, je l’ai souvent surprise,
Et là, croisant les bras, elle restait assise,
Regardant à ses pieds l’eau du ruisseau mourir ;
Moi, pour la consoler, j’avais l’air de souffrir,
Et ses lèvres alors, pour calmer ma tendresse,
Laissaient poindre un sourire à travers leur tristesse ;
Comme on voit du soleil un rayon détaché,
Percer l’obscur nuage où l’astre s’est caché.
Du jour trop prompt à fuir elle accusait la fuite,
Et trouvait le matin qu’il revenait trop vite,
Et quelquefois encor, afin de mieux pleurer,
Dans le fond du bois sombre elle allait s’égarer.
« Rafraîchis, doux zéphyr, ma brûlante poitrine ;
« Retarde un peu la mort qui vers moi s’achemine,
« Disait-elle ; ton souffle écarte le trépas. »
Mais quand vint le zéphir la santé ne vint pas,
Et ses flancs déchirés respiraient avec peine ;
Ses lèvres se plongeaient à la source prochaine ;
Mais l’onde qui guérit n’est point dans ces climats.
Vers la religion elle portait ses pas ;
Mais ses genoux eh vain priaient dans la chapelle ;
Dieu n’entend pas toujours le chagrin qui l’appelle,
Et l’ange qui console était loin de ses pleurs.
Un ami suivait seul ses courses de douleurs ;
Nocturne sentinelle, il gardait sa chaumière.
Vers cet ami souvent abaissant sa paupière,
En secouant la tête, elle disait : « Hélas !
« Comment d’être avec moi n’es-tu point encor las ?
« Jadis, et tu le sais, je jouais dans la plaine ;
« Tu partageais mes jeux comme aujourd’hui ma peine ;
« Je traversais les champs avec rapidité,
« Et tes rapides pas volaient à mon côté.
« Immobile à mes pieds, maintenant que je pleure,
« Sais-tu que Maria va changer de demeure ?
« Là, sur le seuil encore, on te verra couché,
« Et puis tu japperas dans le gazon caché.
« Tu garderas ma tombe au lieu de ma chaumière,
« Et l’orage, le vent, la grêle meurtrière,
« De mon lit de repos rien ne t’éloignera,
« Et dans ta peine aussi nul ne te soignera ;
« On placera ma cendre au bas de la colline,
« Et toi seul y viendras, car je suis orpheline. »
Levant la tête alors son chien la regardait,
Et lui léchait la main comme s’il entendait.
Bientôt comme un beau lys effeuillé par la pluie,
Elle expira, sa force étant évanouie.
C’est moi, contre la mort, qui vins la raffermir,
Et pour me dire adieu je l’entendis gémir.
Voyageurs qui passez au bas de la colline,
Ne foulez pas la couche où dort cette orpheline,
Et marchez doucement de peur qu’un peu de bruit
N’aille encor l’éveiller dans l’éternelle nuit.

Paris. Octobre 1816.

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