Lucie
…. Quos hora novissima junxit,
Componi tumulo non invideatis eodem.
OVID., liv. IV.
Elle était blanche et pure, et jamais dans Leinster
Les eaux n’ont répété de traits plus adorables
Que les traits de Lucie, amante de Walter.
Croyant, d’après le sien, tous les amours durables,
Et n’ayant que seize ans, elle crut au bonheur ;
Mais l’homme à la constance attache un déshonneur,
Il faut toujours qu’il trompe : et cet arbre infidèle
Qui revêt tous les ans une écorce nouvelle,
Portait encor les noms de Lucie et Walter,
Que Lucie était seule, et pleurait dans Leinster.
Comme on voit l’hyacinthe, ou l’iris au bleu tendre,
Livrés, dès leur naissance, aux vents qui font mourir,
S’effeuiller sur le sol qui ne peut les nourrir,
Sans avoir le parfum qu’on devait en attendre :
On voyait de la vierge expirer la beauté,
Sa bouche du sourire oublier la gaîté,
Et les fleurs du printemps pâlir sur son visage,
Qui de l’automne encor ne craignait pas l’outrage.
La vierge n’allait plus, dans de joyeux ébats,
Cueillir à la forêt la fraise et l’églantine,
Ou surprendre en son nid, la fauvette mutine,
Dont le bec maternel croit livrer des combats ;
Et l’oiseau fugitif des bois de Canarie,
Au bord de sa prison languissant ignoré,
Sans doute regrettait sa lointaine patrie,
Car il n’avait plus d’eau, ni de millet doré.
Le monde en ce temps-là parlait d’une madone
Qui ramène l’amour quand il nous abandonne ;
Et Lucie eut dessein d’aller la consulter.
Lucie était souffrante, et dans un long voyage
Ses pieds faibles et nus n’auraient pu la porter ;
Son cœur seul accomplit le saint pèlerinage.
Hôte toujours tardif du lit des malheureux,
Le sommeil l’accablait d’une pénible absence ;
Et s’il avait pitié de sa jeune innocence,
Ce bienfait, combattu par des songes affreux,
L’effrayait de la mort qu’imploraient ses alarmes ;
Elle ne savait plus à qui vouer ses larmes.
Or voici, quand l’hiver vient refroidir la nuit,
Ce que les vieux pasteurs, près du feu qui pétille,
Racontent longuement à leur jeune famille
Dont le cercle attentif se resserre sans bruit.
— C’est la veille du jour, où Dieu, dans son église,
Verra s’unir ensemble Adelgise et Walter :
Mais voyez quel orage avance sur Leinster,
Car Dieu ne bénit pas l’union d’Adelgise.
Le vent rase en sifflant la pente des coteaux,
L’orage éclate et gronde ; et l’airain de la cloche
Dont la voix tour à tour s’éloigne ou se rapproche,
Fait, en se balançant, frissonner les vitraux ;
De son réduit plaintif la corneille s’élance,
Voltige autour du toit par la grêle battu ;
Et l’oiseau de la mort, qui jusque-là s’est tu,
Des tombeaux qu’il habite interrompt le silence.
Séchée à son matin par les feux de l’amour,
La vierge délaissée a compris ce présage.
« Tout m’annonce ma fin, j’ai vu mon dernier jour ; »
Disait-elle tout bas aux filles de son âge
Qui pleuraient autour d’elle, et d’un soin complaisant
Présentaient à sa bouche un breuvage impuissant :
« Une funeste voix, que je puis seule entendre,
« Vers un monde nouveau me dit qu’il faut descendre ;
« Et je vois une main que vous ne pouvez voir,
« Dont le signe m’appelle : adieu, filles chéries,
« Pleurez sans vous cacher, car je n’ai plus d’espoir ;
« J’aime à sentir vos pleurs mouiller mes mains flétries,
« Car je me sens mourir. Et toi, mon bien-aimé,
« Qui vas près de l’autel conduire une autre épouse ;
« Tu m’y verras aussi : mais ce cœur abîmé,
« Ce cœur ne battra plus d’une flamme jalouse ;,
« Tu seras riche et beau d’opulence et d’orgueil,
« Moi je serai tout près, couverte d’un linceuil.
« J’ai froid, bien froid, mes sœurs… soulevez-moi la tête,
« Que je suis faible, ô Dieu ! c’est donc demain la fête !
« J’irai, je serai forte, et je saurai souffrir…
« Serrez-moi dans vos bras, mes sœurs, je vais mourir. »
Elle mourut. Son corps vêtu d’un long suaire,
Fut, comme elle avait dit, porté le lendemain,
Vers le temple où l’époux, d’une orgueilleuse main,
Conduisait sa conquête au pied du sanctuaire.
Tout à coup de la noce on cesse les chansons ;
Les prêtres sont vêtus de leurs noires étoles,
Et du psaume des morts les lugubres paroles
De la cloche qui tinte accompagnent les sons.
Le cortège s’avance : et d’une âme atterrée,
Walter qui voit passer cette foule éplorée,
À reconnu Lucie. Elle semblait dormir ;
Et sa bouche semblait achever de gémir.
Son front était paré de fleurs pâles comme elle,
Et c’était de ces fleurs qu’une épousé nouvelle
Emprunte le matin au pudique oranger,
Pour orner des cheveux qu’il faudra déranger.
Quel tableau pour Walter, dont le regard parjure
N’osait point sur la mort contempler la parure,
Qu’attache la gaîté sur le front de l’hymen !
De la main d’Adelgise il retire sa main.
Il coule sur son front une sueur glacée ;
Et repoussant de lui sa jeune fiancée :
« Il faut nous dire adieu ; l’épouse, la voilà,
« Sans doute elle m’attend, peut-être elle m’appelle :
« Je m’en vais la rejoindre, et rester avec elle. »
La pâle fiancée en pleurant s’en alla.
C’est ainsi que le soir, près du feu qui pétille,
Les pasteurs, quand l’hiver vient refroidir la nuit,
Racontent cette histoire à leur jeune famille ;
Et du cercle rompu qui disparaît sans bruit,
Plus d’une vierge alors triste et moins sûre d’elle
Regarde son amant pour voir s’il est fidèle.Paris, 1817.
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Jules Lefèvre-Deumier, né le 14 juin 1797 à Paris où il est mort le 11 décembre 1857, est un écrivain et poète français. Son vrai nom était Lefèvre, auquel il ajouta Deumier en hommage à une tante qui lui avait légué sa fortune, assez considérable. Profondément romantique, ses modèles étaient André Chénier et Byron.... [Lire la suite]
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