Les trois Meubles du Mage surranés
I
MINÉRAL
Vase olivâtre et vain d’où l’âme est envolée,
Crâne, tu tournes un bon visage indulgent
Vers nous, et souris de ta bouche crénelée.
Mais tu regrettes ton corps, tes cheveux d’argent,
Tes lèvres qui s’ouvraient à la parole ailée.
Et l’orbite creuse où mon regard va plongeant,
Bâille à l’ombre et soupire et s’ennuie esseulée,
Très nette, vide box d’un cheval voyageant.
Tu n’es plus qu’argile et mort. Tes blanches molaires
Sur les tons mats de l’os brillent de flammes claires,
Tels les cuivres fourbis par un larbin soigneux.
Et, presse-papier lourd, sur le haut d’une armoire
Serrant de l’occiput les feuillets du grimoire,
Contre le vent rôdeur tu rechignes, hargneux.II
VÉGÉTAL
Le vélin écrit rit et grimace, livide.
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux,
Pétillent radieux dans une page vide.
D’autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,
Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide.
Le livre est un grand arbre émergé des tombeaux.
Et ses feuilles, ainsi que d’un sac qui se vide,
Volent au vent vorace et partent par lambeaux.
Et son tronc est humain comme la mandragore ;
Ses fruits vivants sont les fèves de Pythagore ;
Des feuillets verdoyants lui poussent en avril.
Et les prédictions d’or qu’il emmagasine,
Seul le nécromant peut les lire sans péril,
La nuit, à la lueur des torches de résine.III
ANIMAL
Tout vêtu de drap d’or frisé, contemplatif,
Besicles d’or armant son nez bourbon, il trône.
À l’entour se presse un cortège admiratif
Que fait trembler le feu soudain de son oeil jaune.
Il est très sage, et rend justice sous un aulne
(Jadis Pallas en fit son conseil privatif) ;
Il a pour méditer l’arrêt, esprit actif,
Et pour l’exécuter griffes longues d’une aune.
Doux, poli, le hibou viendra vous prévenir
Quand l’heure sonnera que la Mort vous emporte ;
Et criera trois fois son nom à travers la porte.
Car il déchiffre sur les tombes l’avenir,
Rêvant la nuit devant les X philosophales
Des longs fémurs croisés en siestes triomphales.
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Alfred JARRY
Alfred Jarry, né à Laval (Mayenne) le 8 septembre 1873 et mort à Paris le 1er novembre 1907, est un poète, romancier et dramaturge français. Alfred Jarry est le fils d’Anselme Jarry, négociant puis représentant en commerce, et de Caroline Quernest. En 1878, il est inscrit comme élève dans la division des minimes du petit... [Lire la suite]
(II bis)
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Plantation
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Rosiers que j’ai plantés sous la lune livide,
Je vous vois resplendir ainsi que des flambeaux ;
Vous ornez de couleurs ce jardin presque vide,
Salués au matin par le cri du corbeau
Qui rate rarement ce rendez-vous avide.
Un rocher près de vous, calme comme un tombeau,
Prend au soleil levant des airs de pyramide ;
Au fond du ciel se traîne un nuage en lambeaux.
Le chien creuse le sol pour trouver un trésor
(On ne sait s’il y croit, ou s’il en doute fort).
Nous sommes dans les jours où tout prend bien racine.
Au loin j’entends glapir mon compère goupil
Qui viendrait voir mes coqs, n’était le grand péril :
Volaille est vigoureuse, à Sainte-Catherine.
(I bis)
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Marchent trois hiboux d’or, sans prendre leur volée,
Priant comme le font les moines indulgents ;
Ils quittent le manoir et ses tours crénelées,
Vers la sombre forêt lentement voyageant.
Bien plus impressionnants que sous leur forme ailée,
Ils tiennent à distance un cavalier d’argent
Qui poursuivra, sans eux, sa croisade esseulée,
Dans l’univers de sable obstinément plongeant.
Pour eux, la nuit se passe en trajets circulaires,
Ils ont coutume, ainsi, d’attendre l’aube claire,
Répétant plusieurs fois leur parcours insomnieux.
Si tu croisais, un soir, leur route giratoire,
Donne à chacun d’entre eux un sou propitiatoire,
Et que ton geste soit des plus cérémonieux !