Les Torts du Cygne
Comme le Cygne allait nageant
Sur le lac au miroir d’argent,
Plein de fraîcheur et de silence,
Les Corbeaux noirs, d’un ton guerrier,
Se mirent à l’injurier
En volant avec turbulence.Va te cacher, vilain oiseau !
S’écriaient-ils. Ce damoiseau
Est vêtu de lys et d’ivoire !
Il a de la neige à son flanc !
Il se montre couvert de blanc
Comme un paillasse de la foire!Il va sur les eaux de saphir,
Laid comme une perle d’Ophir,
Blanc comme le marbre des tombes
Et comme l’aubépine en fleur !
Le fat arbore la couleur
Des boulangers et des colombes !Pour briller sur ce promenoir,
Que n’a-t-il adopté le noir !
Un fait des plus élémentaires,
C’est que le noir est distingué.
C’est propre, c’est joli, c’est gai ;
C’est l’uniforme des notaires.Cuisinier, garde ton couteau
Pour ce Gille, cher à Wateau !
Accours! et moi-même que n’ai-je
Le bec aigu comme un ciseau
Pour percer le vilain oiseau
Barbouillé de lys et de neige !Tel fut leur langage. A son tour
Dans les cieux parut un Vautour
Qui s’en vint déchirer le Cygne
Ivre de joie et de soleil ;
Et sur l’onde son sang vermeil
Coula comme une pourpre insigne.Alors, plus brillant que l’Oeta
Ceint de neige, l’oiseau chanta,
L’oiseau que sa blancheur décore ;
Il chanta la splendeur du jour,
Et tous les antres d’alentour
S’emplirent de sa voix sonore.Et l’Alouette dans son vol,
Et la Rose et le Rossignol
Pleuraient le Cygne. Mais les Anes
S’écrièrent avec lenteur :
Que nous veut ce mauvais chanteur ?
Nous avons des airs bien plus crânes.Il chantait toujours. Et les bois
Frissonnants écoutaient la voix
Pleine d’hymnes et de louanges.
Alors, d’autres êtres ailés
Traversèrent les cieux voilés
D’azur. Ceux-là, c’étaient des Anges.Ces beaux voyageurs, sans pleurer,
Regardaient le Cygne expirer
Parmi sa pourpre funéraire,
Et, vers l’oiseau du flot obscur
Tournant leur prunelle d’azur,
Ils lui disaient : Bonsoir, mon frère.Décembre 1861
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Théodore de BANVILLE
Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du... [Lire la suite]
Splendeur d’un emblème
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Sur la noble bannière un cygne est imprimé,
Beau regard à l’avant, belle poupe à l’arrière ;
Cet oiseau ne craint point de franchir les barrières
Pour aller caresser le corps d’un être aimé.
Souvent fut le désir dans son coeur allumé
Par une douce amante aux grands yeux de lumière ;
Celle du temps présent, c’est toujours la première,
Par qui depuis longtemps sont ses jours animés.
Ce cygne est le seigneur de la mare sereine,
Qui jamais n’envia la condition humaine ;
Il préfère de loin vivre avec ses pareils.
Les vaillants chevaliers qui l’ont pris pour insigne
(De cet honneur, sans doute, il leur a paru digne)
Baignent leur étendard aux rayons du soleil.
Cygne en plein saphir
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C’est une nef de plumes blanches,
Un vaisseau confortable et sûr ;
Garde ton cap, les temps sont durs,
Aucun dieu vers toi ne se penche.
En passant sous un pont de planches,
Le cygne avance vers l’azur ;
L’eau si claire, le ciel si pur,
Tant d’oiseaux chantant sur leurs branches...
Je te le dis, tu es splendide,
Parce que tel est ton destin ;
Tu illumines nos matins.
Ta vie n’aura rien de sordide,
Mais sera noble, en vérité,
Tu es par la grâce habité.