Les sirènes
Les Sirènes chantaient… Là-bas, vers les îlots,
Une harpe d’amour soupirait, infinie ;
Les flots voluptueux ruisselaient d’harmonie
Et des larmes montaient aux yeux des matelots.Les Sirènes chantaient… Là-bas, vers les rochers,
Une haleine de fleurs alanguissait les voiles ;
Et le ciel reflété dans les flots pleins d’étoiles
Versait tout son azur en l’âme des nochers,Les Sirènes chantaient… Plus tendres à présent,
Leurs voix d’amour pleuraient des larmes dans la brise,
Et c’était une extase où le coeur plein se brise,
Comme un fruit mûr qui s’ouvre au soir d’un jour pesant !Vers les lointains, fleuris de jardins vaporeux,
Le vaisseau s’en allait, enveloppé de rêves ;
Et là-bas – visions – sur l’or pâle des grèves
Ondulaient vaguement des torses amoureux.Diaphanes blancheurs dans la nuit émergeant,
Les Sirènes venaient, lentes, tordant leurs queues
Souples, et sous la lune, au long des vagues bleues,
Roulaient et déroulaient leurs volutes d’argent.Les nacres de leurs chairs sous un liquide émail
Chatoyaient, ruisselant de perles cristallines,
Et leurs seins nus, cambrant leurs rondeurs opalines,
Tendaient lascivement des pointes de corail.Leurs bras nus suppliants s’ouvraient, immaculés ;
Leurs cheveux blonds flottaient, emmêlés d’algues vertes,
Et, le col renversé, les narines ouvertes,
Elles offraient le ciel dans leurs yeux étoilés !…Des lyres se mouraient dans l’air harmonieux ;
Suprême, une langueur s’exhalait des calices,
Et les marins pâmés sentaient, lentes délices,
Des velours de baisers se poser sur leurs yeux…Jusqu’au bout, aux mortels condamnés par le sort,
Choeur fatal et divin, elles faisaient cortège ;
Et, doucement captif entre leurs bras de neige,
Le vaisseau descendait, radieux, dans la mort !La nuit tiède embaumait…Là-bas, vers les îlots,
Une harpe d’amour soupirait, infinie ;
Et la mer, déroulant ses vagues d’harmonie,
Étendait son linceul bleu sur les matelots.Les Sirènes chantaient… Mais le temps est passé
Des beaux trépas cueillis en les Syrtes sereines,
Où l’on pouvait mourir aux lèvres des Sirènes,
Et pour jamais dormir sur son rêve enlacé.
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Albert SAMAIN
Albert Samain, né à Lille le 3 avril 1858, mort à Magny-les-Hameaux le 18 août 1900, est un poète symboliste français. Son père étant décédé alors qu’il n’avait que 14 ans, il dut interrompre ses études pour gagner sa vie et devint employé de commerce. Vers 1880, il fut envoyé à Paris, où il décida de rester.... [Lire la suite]
Sirène Atlante
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Une sirène au fond de l’Atlantique
Songe à celui qui enchantait son coeur,
Et puis se verse un verre de liqueur,
Car il en reste au fond de sa barrique.
Juste au-dessus, la mer est magnifique,
J’entends le cri du goéland moqueur ;
D’un gros poisson, il vient d’être vainqueur,
Dont les copains s’éloignent en panique.
Un peu plus loin sonnent les mots d’amour
Que vient de dire un crabe fier et lourd,
Lui, du courage incomparable emblème.
Or, la sirène a pleuré sans raison,
Quand son esprit fit la comparaison
Des mots du crabe à ceux de Polyphème.
Boire avec la sirène
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La petite taverne au bord du Pacifique
Reçoit une sirène, elle m’offre son coeur ;
Alors nous enchaînons les verres de liqueur,
Car je me sens d’humeur à vider les barriques.
La sirène sourit, ses yeux sont magnifiques,
Elle ne prend point garde aux matelots moqueurs ;
Nul de ces beaux garçons d’elle ne fut vainqueur,
Pour un de ses regards, chacun d’entre eux panique.
Or, moi, je ne sais pas dire des mots d’amour,
Mon esprit pour cela se trouve un peu trop lourd ;
La sirène pourtant n’y voit aucun problème.
Elle qui m’a choisi, son âme a ses raisons
Qui mettent au défi toute comparaison ;
Du délire absolu son beau corps est l’emblème.
Marin d'eau de vie
Il se rend tous les soirs, au bar « Le Pacifique »,
Depuis qu’il est marin à bord d’un remorqueur.
Le patron est connu pour être un arnaqueur,
Mais lui se laisse avoir par son air angélique.
Dès qu’il s’accoude au zinc, des femmes magnifiques,
Au décolleté plongeant, dont la forme est un cœur,
Le poussent à consommer des verres de liqueur,
Si bien qu’il est très tôt, plein comme une barrique.
Quand il perçoit sa solde, il s’offre leur amour,
Dans un petit salon, tout de rouge velours,
Et de tableaux de nus, pour être dans le thème.
Ainsi passent les jours, les mois, et les saisons,
Avec ses soûleries pour unique horizon,
Le mien serait plutôt, d’écrire des poèmes.
https://misquette.wordpress.com/2019/11/11/marin-deau-de-vie/
Voir
https://paysdepoesie.wordpress.com/2019/11/10/boire-avec-la-sirene/