Les Plaines d’Abraham
L’assiégeant se rangeait sur l’immense plateau…
Or Montcalm l’avait dit : ― L’on me verra, plutôt
Que de céder au nombre,
Jusqu’au dernier moment défendre sans pâlir
Mes derniers bastions, et puis m’ensevelir
Sous leur dernier décombre !Depuis des mois déjà, l’implacable ennemi
Avait, sans respirer, sur la ville, vomi
Des torrents de mitrailles ;
Et, pillant la campagne et les forts envahis,
Des hordes de soudards étreignaient le pays
Comme dans des tenailles.Québec, que bombardaient quarante gros vaisseaux,
N’offrait plus aux regards que débris et monceaux
De ruines croulantes ;
Et, des tours aux clochers, le feu torrentiel
Nuit et jour détachait, sinistre, sur le ciel
Ses spirales sanglantes.Montcalm, désespéré, mais sans faillir pourtant,
Du haut de ses remparts, voyait à chaque instant,
Depuis la Canardière
Jusqu’à perte de vue, et main basse sur tout,
Des bandes se ruer en promenant partout
La torche incendiaire.Un jour, Wolfe, qu’enrage échec après échec,
Débarqué nuitamment, pour surprendre Québec,
Joyeux, se met en route ;
Près de Montmorency, son rival qui l’attend
Fond sur lui, l’enveloppe, et met tambour battant
Son armée en déroute.Mais la lutte touchait à son terme ; un Vergor,
Bazaine de jadis, avait pour un peu d’or
Entre-bâillé nos portes ;
Et Wolfe, risquant tout sur la carte à jouer,
Dans la plaine où le drame allait se dénouer
Déployait ses cohortes.On n’avait plus de pain, et la ville râlait.
Point d’autre alternative à choisir : il fallait
Accepter la bataille.
Les deux guerriers, lassés par tant de vains efforts,
Allaient enfin pouvoir s’étreindre corps à corps,
Et mesurer leur taille.Montcalm a sous les murs rangé ses bataillons.
Et bientôt, remplissant de ses noirs tourbillons
L’atmosphère ébranlée
Sous un ciel par des flots de fumée obscurci,
Dans les acharnements d’un combat sans merci,
Rugit l’âpre mêlée.Le spectacle était fauve, et grand comme l’enjeu.
Ce panache effrayant de tonnerre et de feu
Couronnant cette cime,
Faisait presque l’effet d’un volcan déchaîné…
Jamais plus fier tableau n’avait illuminé
Un cadre plus sublime !Et les deux généraux, oubliant le danger,
Sous le plomb foudroyant se prenaient à songer
Que ce canon qui gronde,
Au terrible hasard d’un succès incertain,
Jouait, sur ce fatal échiquier du destin,
Le sort du nouveau monde !Hélas ! des nations l’arbitre avait parlé ;
Le Canada français, au firmament voilé,
Voyait pâlir son astre ;
Et, dans leurs étendards les deux rivaux drapés,
Vainqueur comme vaincu, tombaient enveloppés
Dans le même désastre.Montcalm, le fier héros que, dans son drapeau blanc,
Les Romains d’autrefois eussent voulu, sanglant,
Porter au Capitole,
Voyant ses vétérans sous le nombre plier,
En mourant avait su, comme un preux chevalier,
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Louis-Honoré FRÉCHETTE
Louis-Honoré Fréchette (16 novembre 1839 – 31 mai 1908), poète, dramaturge, écrivain et homme politique, est né à St-Joseph-de-la-Pointe-Lévy (Lévis), Québec, Canada. Bien que son père, entrepreneur, soit analphabète, il étudie sous la tutelle des Frères des écoles chrétiennes. De 1854 à 1860, il fait ses études... [Lire la suite]
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