Poème 'Les Muses au tombeau' de Théodore de BANVILLE dans 'Odelettes'

Les Muses au tombeau

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Odelettes"

Près de la pierre close
Sous laquelle repose
Théophile Gautier,
(Non tout entier,

Car par son œuvre altière
Ce dompteur de matière
Est comme auparavant
Toujours vivant,)

Regardant cette tombe
De leurs yeux de colombe,
Les Muses vont pleurant
Et soupirant.

Toutes se plaignent : celle
Dont l’œil sombre étincelle
Et qui réveille encor
Le clairon d’or,

Celle que le délire
Effréné de la Lyre
Offre aux jeux arrogants
Des ouragans,

Celle qui rend docile
Un mètre de Sicile
Et tire du roseau
Des chants d’oiseau,

Celle qui, dans son rêve
Farouche, porte un glaive
Frissonnant sur son flanc
Taché de sang,

Et celle qui se joue
Et pour orner sa joue
Prend aux coteaux voisins
Les noirs raisins,

Et la plus intrépide,
La Nymphe au pied rapide,
Celle qui, sur les monts
Où nous l’aimons,

Par sa grâce savante,
Fait voir, chanson vivante,
Les rhythmes clairs dansants
Et bondissants.

Oui, toutes se lamentent
Et pieusement chantent
Dans l’ombre où leur ami
S’est endormi.

Car il n’en est pas une
Qui n’ait eu la fortune
D’obtenir à son tour
Son fier amour ;

Pas une qu’en sa vie
Il n’ait prise et ravie
Par un chant immortel
Empli de ciel !

Ses pas foulaient ta cime,
Mont neigeux et sublime
Où nul Dieu sans effroi
Ne passe ; et toi,

Fontaine violette,
Il a vu, ce poëte,
Errer dans tes ravins
Les chœurs divins !

Et toi, monstre qui passes
A travers les espaces,
Usant ton sabot sur
Les cieux d’azur,

Cheval aux ailes blanches
Comme les avalanches,
Tu prenais ton vol, l’œil
Ivre d’orgueil,

Quand sa main blanche et nue
T’empoignait sous la nue,
Ainsi que tu le veux,
Par les cheveux !

Mais, ô Déesses pures,
Ornez vos chevelures
De couronnes de fleurs,
Séchez vos pleurs !

Car le divin poëte
Que votre voix regrette
Va sortir du tombeau
Joyeux et beau.

Les Odes qu’il fit naître
Lui redonneront l’être
A leur tour, et feront
Croître à son front

Victorieux de l’ombre,
L’illustre laurier sombre
Que rien ne peut faner
Ni profaner.

Toujours, parmi les hommes,
Sur la terre où nous sommes
Il restera vivant,
Maître savant

De l’Ode cadencée,
Et sa noble pensée
Que notre âge adora,
Joyeuse, aura

Pour voler sur les lèvres
Que brûleront les fièvres
De notre humanité
L’éternité !

Jeudi, 7 novembre 1872.

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