Les Martyres
Ces femmes, qu’on envoie aux lointaines bastilles,
Peuple, ce sont tes soeurs, tes mères et tes filles !
Ô peuple, leur forfait, c’est de t’avoir aimé !
Paris sanglant, courbé, sinistre, inanimé,
Voit ces horreurs et garde un silence farouche.Celle-ci, qu’on amène un bâillon dans la bouche,
Cria – c’est là son crime – : à bas la trahison !
Ces femmes sont la foi, la vertu, la raison,
L’équité, la pudeur, la fierté, la justice.
Saint-Lazare – il faudra broyer cette bâtisse !
Il n’en restera pas pierre sur pierre un jour ! -
Les reçoit, les dévore, et, quand revient leur tour,
S’ouvre, et les revomit par son horrible porte,
Et les jette au fourgon hideux qui les emporte.
Où vont-elles ? L’oubli le sait, et le tombeau
Le raconte au cyprès et le dit au corbeau.Une d’elles était une mère sacrée.
Le jour qu’on l’entraîna vers l’Afrique abhorrée,
Ses enfants étaient là qui voulaient l’embrasser ;
On les chassa. La mère en deuil les vit chasser
Et dit : partons ! Le peuple en larmes criait grâce.
La porte du fourgon étant étroite et basse,
Un argousin joyeux, raillant son embonpoint,
La fit entrer de force en la poussant du poing.Elles s’en vont ainsi, malades, verrouillées,
Dans le noir chariot aux cellules souillées
Où le captif, sans air, sans jour, sans pleurs dans l’oeil,
N’est plus qu’un mort vivant assis dans son cercueil.
Dans la route on entend leurs voix désespérées.
Le peuple hébété voit passer ces torturées.
A Toulon, le fourgon les quitte, le ponton
Les prend ; sans vêtements, sans pain, sous le bâton,
Elles passent la mer, veuves, seules au monde,
Mangeant avec les doigts dans la gamelle immonde.
Bruxelles, 8 juillet 1852.
Poème préféré des membres
ATOS a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Victor HUGO
Victor-Marie Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, est un écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé français, considéré comme l’un des plus importants écrivains romantiques de langue française. Fils d’un général d’Empire souvent... [Lire la suite]
- Approchez-vous. Ceci, c'est le tas des...
- L'histoire a pour égout des temps comme les...
- Le Progrès calme et fort, et toujours...
- Quand l'eunuque régnait à côté du césar
- A un qui veut se détacher
- Pasteurs et troupeaux
- Ce serait une erreur de croire que ces choses
- Ainsi les plus abjects, les plus vils, les...
- Ô Robert, un conseil. Ayez l'air moins...
- A propos de la loi Faider
Commentaires
Aucun commentaire
Rédiger un commentaire