Les Larmes
J’aurai cinquante ans tout à l’heure ;
Je m’y résigne, Dieu merci !
Mais j’ai ce très grave souci :
Plus je vieillis, et moins je pleure.Je souffre pourtant aujourd’hui
Comme jadis, et je m’honore
De sentir vivement encore
Toutes les misères d’autrui.Oh ! la bonne source attendrie
Qui me montait du cœur aux yeux !
Suis-je à ce point devenu vieux
Qu’elle soit près d’être tarie ?Pour mes amis dans la douleur,
Pour moi-même, quoi ? plus de larme
Qui tempère, console et charme,
Un instant, ma peine ou la leur !Hier encor, par ce froid si rude,
Devant ce pauvre presque nu,
J’ai donné, mais sans être ému,
J’ai donné, mais par habitude ;Et ce triste veuf, l’autre soir,
― Sans que de mes yeux soit sortie
Une larme de sympathie, ―
M’a confié son désespoir.Est-ce donc vrai ? Le cœur se lasse,
Comme le corps va se courbant.
En moi seul toujours m’absorbant,
J’irais, vieillard à tête basse ?Non ! C’est mourir plus qu’à moitié !
Je prétends, cruelle nature,
Résistant à ta loi si dure,
Garder intacte ma pitié…Oh ! les cheveux blancs et les rides !
Je les accepte, j’y consens ;
Mais, au moins, jusqu’en mes vieux ans,
Que mes yeux ne soient point arides !Car l’homme n’est laid ni pervers
Qu’au regard sec de l’égoïsme,
Et l’eau d’une larme est un prisme
Qui transfigure l’univers.
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François COPPÉE
François Édouard Joachim Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris où il est mort le 23 mai 1908, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète du souvenir d’une première rencontre... [Lire la suite]
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