Les hôtesses
Quand vous coulant au bas de vos lits d’accouchées
Après les affres du premier enfantement
Vous vous dressez enfin, vous sentant allégées
Comme un arbre où saignait un fruit mûr, lourdement ;Que dans votre miroir, Mères, Eves maudites,
Votre ombre frêle et pâle encore du danger
Vous fait prendre en horreur nos enfances, proscrites
D’un geste, et s’effarant d’un sourire étranger ;Tandis que vous traînez, mornes, vos cicatrices,
Dieu nous voit blancs d’un lait revomi par ruisseaux,
L’âme et le front navrés du baiser des nourrices,
Miaulant au roulis d’impassibles berceaux.Or, grandis dans l’orgueil d’avoir des coeurs si tristes,
Plus tard, après l’avoir respirée en chemin,
Ô femme, dans le vent plein d’adorables pistes,
Tu n’as tendu qu’un doigt à toute notre main.Car, ô mortelle, enfant belle comme la Terre,
Tu ne peux attirer dans ta nuit, sans que dans
L’entrelacement nu de ta caresse amère
Luise toute la bête en l’éclair de tes dents.Mais comme une qui tue et qui n’est pas méchante,
Tu souriras toujours, ne pouvant écouter,
Pour tous les noirs baisers où notre âme déchante,
Dans le ciel qui s’enfuit nos anges sangloter.Ah ! nous la demandons toujours, la bonne
Hôtesse, La vraie, et dont le geste est sûr, toute au passant
Qui marche en la stupeur de la forêt traîtresse,
Les cheveux en sueur et les doigts lourds de sang ;Chez qui coulent des flots de bonté merveilleuse
Et les vins rares sur la nappe, où le sommeil
Blotti dans un parfum de lessive rieuse
Se berce d’une ivresse encor verte au réveil ;Où tu ne pèses pas, ô main, ce que tu donnes ;
Où, sur tes fruits charmants comme des fleurs, la faim
S’oublie en un verger aux trésors en couronnes
Et sous le soleil mûr d’un automne sans fin.Mais, puisque c’est en vain, ô nos bouches, crieuses
D’infini, dont la voix, comme un oiseau de feu,
Emporte au ciel l’amour des foules furieuses,
Ah ! puisque Dieu sans doute existe, mais si peu !Viens, toi, la plus affreuse et pourtant la meilleure,
Trop méconnue au temps où l’on était petit ;
Ô Mort, dernière Hôtesse, est-ce pas qu’il est l’heure
Ta mort bâille comme en un morne appétit.Dérobe-nous, tes fils sont las, surtout des roses,
Pas de tout, certe, et vieux d’aller et d’espérer ;
Donne, ô Mort, ton sommeil aux sombres amauroses
Et que l’aube et ses coqs ne sauraient déchirer.
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Germain NOUVEAU
Germain Marie Bernard Nouveau, né le 31 juillet 1851 à Pourrières (Var) où il est mort le 4 avril 1920, est un poète français. Il est l’aîné des 4 enfants de Félicien Nouveau (1826-1884) et de Marie Silvy (1832-1858). Germain Nouveau perd sa mère alors qu’il n’a que sept ans. Il est élevé par son... [Lire la suite]
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