Les damnés
La terre était immense, et la nue était morne ;
Et j’étais comme un mort en ma tombe enfermé,
Et j’entendais gémir dans l’espace sans borne
Ceux dont le coeur saigna pour avoir trop aimé :Femmes, adolescents, hommes, vierges pâlies,
Nés aux siècles anciens, enfants des jours nouveaux,
Qui, rongés de désirs et de mélancolies,
Se dressaient devant moi du fond de leurs tombeaux.Plus nombreux que les flots amoncelés aux grèves,
Dans un noir tourbillon de haine et de douleurs,
Tous ces suppliciés des impossibles rêves
Roulaient, comme la mer, les yeux brûlés de pleurs.Et sombre, le front nu, les ailes flamboyantes,
Les flagellant encor de désirs furieux,
Derrière le troupeau des âmes défaillantes
Volait le vieil Amour, le premier né des dieux.De leur plainte irritant la lugubre harmonie,
Lui-même consumé du mal qu’il fait subir,
Il chassait, à travers l’étendue infinie,
Ceux qui sachant aimer n’en ont point su mourir.Et moi, je me levais de ma tombe glacée,
Un souffle au milieu d’eux m’emportait sans retour ;
Et j’allais, me mêlant à la course insensée,
Aux lamentations des damnés de l’amour.Ô morts livrés aux fouets des tardives déesses,
Ô Titans enchaînés dans l’Érèbe éternel,
Heureux ! vous ignoriez ces affreuses détresses,
Et vous n’aviez perdu que la terre et le ciel !
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Charles-Marie LECONTE DE LISLE
Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et mort le 17 juillet 1894 à Voisins, était un poète français. Leconte de Lisle passa son enfance à l’île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça... [Lire la suite]
Scribe pensif
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Dans un recoin d'un palais morne,
Un scribe est enfermé ;
Il se souvient, en vers sans borne,
D'avoir jadis aimé.
Mais de sa mémoire pâlie
Ne sort rien de nouveau ;
Rien que de la mélancolie,
Des visions de tombeau.
Ne se croit-il pas sur la grève
D'une mer de douleurs ?
Il a perdu le goût du rêve
Et la saveur des pleurs.
Pardonne-lui, sombre déesse,
Il n'est pas éternel :
Bien éphémère est sa détresse,
Lui pardonne le Ciel.