Les cinq doigts de la main
Le pouce est ce gras cabaretier flamand, d’humeur
goguenarde et grivoise, qui fume sur sa porte, à
l’enseigne de la double bière de mars.L’index est sa femme, virago sèche comme une merluche,
qui, dès le matin, soufflette sa servante dont elle est
jalouse, et caresse la bouteille dont elle est amoureuse.Le doigt du milieu est leur fils, compagnon dégrossi à
la hache, qui serait soldat s’il n’était brasseur, et
qui serait cheval s’il n’était homme.Le doigt de l’anneau est leur fille, leste et agaçante
Zerbine, qui vend des dentelles aux dames et ne vend pas
ses sourires aux cavaliers.Et le doigt de l’oreille est le Benjamin de la famille,
marmot pleureur, qui toujours se brimbale à la ceinture
de sa mère comme un petit enfant pendu au croc d’une
ogresse.Les cinq doigts de la main sont la plus mirobolante
giroflée à cinq feuilles qui ait jamais brodé les par-
terres de la noble cité de Harlem.
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Aloysius BERTRAND
Louis Jacques Napoléon Bertrand, dit Aloysius Bertrand est un poète, dramaturge et journaliste français, né le 20 avril 1807 à Ceva (Piémont), mort le 29 avril 1841, à dix heures du matin, à l’hôpital Necker de Paris. Considéré comme l’inventeur du poème en prose, il est notamment l’auteur d’une œuvre... [Lire la suite]
Mon pouce a décidé que j'irais en voyage,
Comptant sur mon index pour montrer le chemin.
Le majeur était seul pour porter les bagages ;
L'annulaire lisait le guide Michelin.
Quant à l'auriculaire, à la paresse enclin,
Il se laissait porter dans ce vagabondage
Ainsi que les cinq doigts que j'ai sur l'autre main.
J'étais, on peut le dire, en léger équipage.
La route est rectiligne et baignée de fraîcheur,
D'immenses horizons attirent le marcheur
Qui sait aller au loin sans que rien ne le presse.
Un petit animal, soudain, vint à passer,
Un chat qui demandait à être caressé :
Ici, premier arrêt, un moment de tendresse.
La main du comte
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Les doigts tiennent la plume et la pensée voyage,
D’une étrange utopie parcourant le chemin ;
D’un astre ce seigneur a suivi le sillage,
Il le trace à présent au long d’un parchemin.
En sa jeunesse il fut au nonchaloir enclin,
Se perdant volontiers en des vagabondages ;
Les hommes de son rang ne font rien de leurs mains,
Ils consacrent leur temps à de vains badinages.
« Prends garde à ton salut », lui disait un prêcheur,
Auquel il répondait « Dieu pardonne au pécheur » ;
Cela, ce fut jadis, au temps de sa paresse.
Les muses maintenant le viennent tracasser,
Tu le verras s’asseoir et des lignes tracer ;
Le comte vieillissant retrouve sa noblesse.
Nous sommes des feuilles
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La feuille au vent mauvais voyage,
Invisibles sont ses chemins ;
Nul ne trouvera ce sillage
Sur un atlas en parchemin.
Tu es un scribe au rêve enclin,
Tu aimes ce vagabondage ;
Tu crois y voir d'un dieu la main,
C'est d'un démon le badinage.
Nu canicule ni fraîcheur,
Ni la parole d'un prêcheur
N'y peuvent rien, toute vie cesse.
La feuille ne fait que passer
Sur des chemins trop mal tracés,
Dès que son arbre la délaisse...