Les Baptêmes
Vers son manoir de marbre,
Qui domine les bois,
L’évêque en fer et en orfroi,
Le dimanche, s’en va,
Moment d’éclair et d’or, parmi les lignes d’arbres.Le ruisseau mire sa monture
Et son pennon de haut en bas,
SI bien qu’il marche, en son voyage,
Avec sa grande image
A ses côtés, sous la ramure,
De pas en pas.Les bois ? – ils sont luisants d’aurore
Et frémissants des fleurs qui les décorent
Les mille doigts des brises frisent,
Avec des bonds et des surprises,
Les feuillages qu’ils chimérisent ;
L’ombre elle-même est claire ; là-haut,
Se balancent les cimes unanimes,
Tandis qu’au ras du sol – tel un joyau
Qui glisserait sur la lumière -
Ailes folles, passe un oiseau.L’évêque, avec son glaive, avec sa lance,
Vêtu d’orfroi et d’acier blanc, s’avance :
Ses éperons de diamant
Semblent du feu de firmament ;
Et son image en or et en conquête
Dit au ruisseau qui la reflète :
» Je suis pure comme ton eau,
Celui qui me projette
En ton miroir a l’âme nette
Et le cceur haut. »L’eau entendit ces paroles d’orgueil,
Fit un coude, puis s’éloigna de l’avenue,
Vers une grotte, où, sur le seuil,
Se baignait une enfant nue,
Jouant, avec ses mains et ses cheveux,
Joyeusement, dans les flots bleus.
Elle était fralche et douce ;
Belle comme un fruit qui luit,
Rouge, sur le coussin des mousses ;
L’ombre tombait des saules,
Feuille à feuille, sur ses épaules,
Et ses doigts vifs cherchaient à la saisir ;
Elle criait et s’oubliait en son plaisir
D’être, dans l’eau et le soleil, perdue.Du haut de sa chapelle, suspendue
Aux peupliers, la petite vierge Marie
La regardait jouer dans l’eau fleurie,
Et n’ayant peur de sa tranquille nudité
Lui dit en se penchant de son côté :» Naïve et frêle enfant de l’eau, des fleurs, des branches,
C’est toi la pure, c’est toi la franche.
Le ruisseau blanc qui s’écoule vers toi,
C’est le baptême vrai que je t’envoie.
J’aime ton corps doux et béni,
Comme celui de mon Jésus,
A Bethléem, quand les souffles unis
Du boeuf et de l’ânon se penchèrent dessus.
Ton âme est claire à ma pensée
Qui te voit vivre, avec les fleurs
Et l’eau, dans une entente de fraîcheur
Et de splendeur exorcisées. »» Tu es toi-même une prière
Balbutiée, au cours des temps,
Depuis que s’exalte la terre
Immortelle vers le printemps. »» L’homme de pouvoir d’or et de force mitrée
Qui rythme son orgueil brutal et chamarré,
Au galop lourd de son cheval là-bas,
N’est pas
Celui qui vit vraiment, selon sa vie.
L’eau pure, à l’entendre, s’enfuit ;
Les brindilles et les branches se cassent ;
Les oiselets rentrent au nid avec frayeur ;
Et la nature entière a peur
Des éclats durs de la cuirasse. »Pendant que la vierge parlait,
L’enfant, sans rien savoir, mêlait,
Continûment, ses mains et ses cheveux
Aux mains et aux cheveux
Des eaux vertes et des eaux bleues.
Toute l’innocence des choses
La pénétrait et la sacrait
D’une simple et religieuse apothéose,
Et sa tête, de la grâce immense baignée,
N’avait pas même l’air étonnée.Tandis qu’au loin, parmi les arbres,
L’évêque en or
Montait vers son manoir de marbre :
Les hauts donjons et leurs pierres meurtries
Etalent chaudes et humides encor
De récentes et féroces tueries ;
Et les taches rouges des murs épais,
A mesure qu’il avançait,
Absorbaient l’ombre
De sa marche farouche et sombre,
Avec leurs bouches de sang frais.
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Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
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