L’Élégie d’un rouge-gorge
Flet noctem, ramoque sedens miserabile carmen
Integrat.
VIRG.
Si quand l’aube amène le jour,
Ou que le soir est de retour,
Je m’égare dans la vallée ;
Je cherche, hélas ! mais sans la voir
La bergère belle et voilée
Qui jadis sous l’ombre isolée,
En m’appelant venait s’asseoir ;
Et moi, suspendant ma volée
Pour prendre part à ses malheurs,
Ma voix tristement exhalée
Mêlait des soupirs de douleurs
À sa voix rêveuse et troublée,
Tandis que sur l’herbe étoilée,
La bergère parmi les fleurs
Laissait long-temps tomber ses pleurs.
Je ne gazouillais que pour elle,
Je la suivais sur mes buissons,
Et joyeux, je battais de l’aile
En la suivant. Quand les moissons
Disparurent sous la faucille,
Je m’étais dit : dans sa famille
J’irai vivre ; loin des glaçons,
Tremblans à la froide charmille,
J’aurai bien chaud ; la jeune fille,
Par ses conseils, par ses leçons,
Rendra plus belles mes chansons ;
Oui, disais-je, quand les nuages
Auront noirci l’azur des cieux,
Et quand l’autan et ses ravages,
Feront, des rameaux sans feuillages
Tomber mon nid silencieux,
J’irai sous un toit sans orages,
Oublier l’hiver pluvieux.
Hélas ! je ne vois plus personne,
Et je sens bien qu’on m’abandonne.
Que n’ai-je, vers d’autres climats,
Cherché sur la rive lointaine,
À l’approche des longs frimats,
La verdure d’une autre plaine,
Un air plus rempli de douceur,
Comme l’hirondelle ma sœur !
Voilà l’automne qui se passe,
Déjà des fleurs l’éclat s’efface ;
Et je suis sûr qu’il va neiger ;
Ou recourir dans le danger !
Pas un petit grain sur les treilles
Ne reste, une méchante main
A cueilli toutes les groseilles ;
Et l’on a d’un pied inhumain,
Sur la lisière du chemin,
Ecrasé les fraises vermeilles ;
Mon Dieu ! que vais-je devenir ?
Mais je vois une bergerie,
Je vais tâcher d’y parvenir….
M’y voilà ! D’une voix chérie
On va bientôt me caresser,
Car la maison n’est pas déserte :
Vers moi comme on va s’empresser,
Et devant la porte entr’ouverte
M’offrir gaîment un peu de pain,
Puis de l’eau fraîche avec du grain.
Berger, je suis le Rouge-Gorge,
Donne-moi l’hospitalité ;
Je ne demande qu’un peu d’orge,
Le Ciel bénira ta bonté :
Il t’aimera si tu m’accueilles,
Je n’ai pas de férocité ;
C’est moi qui couvre avec des feuilles
La victime du meurtre ; enfin
Je suis compatissant, j’ai faim :
Ouvrez au petit Rouge-Gorge,
Qui ne demande qu’un peu d’orge.
Le berger ne vient pas m’ouvrir,
Je n’entends pas sa voix sonore :
Le froid va me faire mourir,
Je suis pourtant tout jeune encore,
La pourpre à peine me décore,
Et sans revoir mes vieux parens,
Il faut à la fleur de mes ans
Finir aujourd’hui ma carrière ;
Aux buissons je vais dire adieu,
Et puis récitant ma prière,
Recommander mon âme à Dieu.Paris, 21 février 1821.
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Commentaires
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Jules LEFÈVRE-DEUMIER
Jules Lefèvre-Deumier, né le 14 juin 1797 à Paris où il est mort le 11 décembre 1857, est un écrivain et poète français. Son vrai nom était Lefèvre, auquel il ajouta Deumier en hommage à une tante qui lui avait légué sa fortune, assez considérable. Profondément romantique, ses modèles étaient André Chénier et Byron.... [Lire la suite]
Un oiseau qui meurt
Devient un tout petit ange
Qui chante en latin.
5-6-5 (voire 5-5-5) (sinon très bien...)
( De + vient + un + tout + pe + tit + ange ) = 7
le problème c'est qu'on prononce : ( De + vient + un + tout + petit + ange ) = 6
"petit", en tout cas dans cette expression qui se doit d'être ramassée pour exprimer la petitesse, "tout petit", perd son "e" muet
Entendu, "5-6-5" dans ce cas.
Dans ce cas nous aurions une graphie "p'tit "qui est licite en français. Pourriez-vous éclairez une étrangère?
En écrivant " tout p'tit ", on force la lecture en deux syllabes.
En écrivant "tout petit", on laisse le choix entre deux et trois syllabes.
Le problème de la graphie "p'tit" c'est qu'elle donnerait au texte une allure populiste, relâchée. Alors que dans la prose de nombreux e muets ne s'entendent jamais, même dans la bouche de locuteurs instruits ou pédants, ou tout ce que vous voudrez. Par exemple la première phrase de ce paragraphe se prononce :
« Le problèm' de la graphie "p'tit" c'est qu'ell' donn'rait au texte une allur' populist', relâchée » (sauf quelques locuteurs qui prononceraient « donnerait »)
Dans la lecture de la poésie classique, par contre, ces cçinq "e" que j'ai remplacés par des apostrophes doivent se prononcer (même si les comédiens, même de la Comédie française, l'ignorent) :
Le problème de la graphi-e "p'tit" c'est qu'elle
Donnerait au texte une allure populiste,
Relâchée. Et je peux lui pondre une séquelle
Pour former un quatrain bien cochonfucianiste.
4 alexandrins (notez le "graphi-e" (3 syllabes) : en fait en poésie classique, "graphie" suivi d'une consonne est tout simplement proscrit !)
Le problème que je soulève est le suivant : on veut adopter en français la forme japonaise du haïku régulier. 5+7+5 Doit-on se soumettre à ces règles archaïques, que peu de poètes utilisent et que peu de lecteurs et comédiens comprendront ? Ou adopter une prononciation normale sans utiliser la péjorative apostrophe ?
Vous nous rendez la poésie oppressante _
Vous me donnez envie de fuir ce monde
où je vous ai rencontré -
Il faut laisser la rigueur aux siècles disparus -
Et conserver la poésie, certes,
De nos anciens avec la ferveur, le respect,
l'admiration, où même la dévotion que vous y apportez -
Mais par pitié -
Cette rigueur n'est plus pertinente
La poésie est immortelle
Vous la voulez figée !
Je veux "des valeurs quantitatives" inégales
Des ''feuillets d'Hypnos'' avec fureur
Et tel René Char
Vive la poésie déchaînée -
Je lis le haïku de Cochonfucius :
5/7/5 -
Désolée de vous contredire -
Merci de ce témoignage.
C'est 1 plaisir pour moi de m'insurger,
La poésie doit rester dans la lumière mon chercheur
Pas momifiée de la sorte -
__Je t'envois 1 sms __
En anglais, l'apostrophe n'a pas d'aspect péjoratif, isn't it...
Plutôt que populiste, le mot adéquat ne serait-il pas populaire. Le respect du sens des mots doit être premier. Je lis aussi: 5-7-5.
En français l'apostrophe est aussi permise mais pour un nombre restreint de mots : le, de, ce, se, me, te, etc. Sinon elle n'est utilisée que quand on note les prononciations de gens du peuple. Ou dans des chansons. Mais quand on l'utilise en poésie, c'est toujours avec ironie, et ce n'est jamais le poète qui parle. C'est ainsi.
En poésie, il y a une élision qui est permise, celle du mot "encore". Mais on l'écrit « encor » pas « encor' » : ça montre combien l'apostrophe est mal perçue.
« Devient un tout petit ange » ou « D'vient un tout p'tit ange » : mon but était de taquiner d'une manière générale l'usage de la diction classique. Mais il est des cas où la prononciation d'un "e" muet est bien plus aberrante que dans ce poème. Et j'ai eu tort de le choisir comme exemple pour ce que je veux faire comprendre...
Je vous remercie de vos explications et de votre patience.
''Et j'ai eu tort de le choisir comme exemple pour ce que je veux faire comprendre...''
Mais nous avons compris votre point de vue -
Notre société française est encore soumise à des lois napoléoniennes
Cessez de maintenir la poésie dans ce carcan repoussant -
Allez 1 p'tite comptine pour calmer l'esprit rigide de jbb01 :
Âme austère drame,
épique et pic et colère drame
Roule écroule et par terre drame
Arme, s'trâme le drame-
(Comptine gothique-)