Légende
Armorial d’anémie !
Psautier d’automne !
Offertoire de tout mon ciboire de bonheur et de génie,
A cette hostie si féminine,
Et si petite toux sèche maligne,
Qu’on voit aux jours déserts, en inconnue,
Sertie en de cendreuses toilettes qui sentent déjà l’hiver,
Se fuir le long des cris surhumains de la Mer.Grandes amours, oh : qu’est-ce encor !…
En tout cas, des lèvres sans façon, .
Des lèvres déflorées,
Et quoique mortes aux chansons,
Après encore à la curée.
Mais les yeux d’une âme qui s’est bel et bien cloîtrée
Enfin; voici qu’elle m’honore de ses confidences,
J’en souffre plus qu’elle ne pense.
- « Mais, chère perdue, comment votre esprit éclairé
« Et le stylet d’acier de vos yeux infaillibles,
« N’ont-ils pas su percer à jour la mise en frais
« De cet économique et passager bellâtre ? »- « Il vint le premier; j’étais seule prés de l’âtre;
« Son cheval attaché à la grille
« Hennissait en désespéré… »- « C’est touchant (pauvre fille)
« Et puis après ?
« Oh! regardez, là-bas, cet épilogue sous couleur de couchant!
« Et puis, vrai,
« Remarquez que dés l’automne, l’automne !
« Les casinos,
« Qu’on abandonne
« Remisent leur piano;
« Hier l’orchestre attaqua
« Sa dernière polka,
« Hier, la dernière fanfare
« Sanglotait vers les gares… »(Oh ! comme elle est maigrie !
Que Va-t-elle devenir ?
Durcissez, durcissez,
Vous, caillots de souvenirs !)
- « Allons, les poteaux télégraphiques
« Dans les grisailles de l’exil
« Vous serviront de pleureuses de funérailles;
« Moi, c’est la saison qui veut que je m’en aille,
« Voici l’hiver qui vient.
« Ainsi soit-il.
« Ah! soignez-vous ! Portez-vous bien.« Assez ! assez !
« C’est toi qui as commencé !« Tais-toi ! Vos moindres clins d’yeux sont des parjures.
« Laisse ! Avec vous autres rien ne dure.
« Va, je te l’assure,
« Si je t’aimais, ce serait par gageure.« Tais-toi ! tais-toi !
« On n’aime qu’une fois ! »Ah! voici que l’on compte enfin avec Moi !
Ah ! ce n’est plus l’automne, alors
Ce n’est plus l’exil.
C’est la douceur des légendes, de l’âge d’or,
Des légendes des Antigones,
Douceur qui fait qu’on se demande :
« Quand donc cela se passait-il ? »
C’est des légendes, c’est des gammes perlées,
Qu’on m’a tout enfant enseignées,
Oh ! rien, vous dis-je, des estampes,
Les bêtes de la terre et les oiseaux du ciel
Enguirlandant les majuscules d’un Missel,
Il n’y a pas là tant de quoi saigner ?Saigner! moi pétri du plus pur limon de Cybéle !
Moi qui lui eusse été dans tout l’art des Adams
Des Édens aussi hyperboliquement fidèle
Que l’est le soleil chaque soir envers l’Occident…
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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