Le Vin Perdu
J’ai, quelque jour, dans l’Océan,
(mais je ne sais plus sous quels cieux),
Jeté, comme offrande au néant,
Tout un peu de vin précieux…Qui voulut ta perte, ô liqueur?
J’obéis peut-être au devin?
Peut-être au souci de mon coeur,
Songeant au sang, versant le vin?Sa transparence accoutumée
Après une rose fumée
Reprit aussi pure la mer…Perdu ce vin, ivres les ondes!…
J’ai vu bondir dans l’air amer
Les figures les plus profondes…
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Paul VALÉRY
Ambroise Paul Toussaint Jules Valéry est un écrivain, poète, philosophe et épistémologue français, né à Sète (Hérault) le 30 octobre 1871 et mort à Paris le 20 juillet 1945. Né d’un père d’origine corse et d’une mère génoise, Paul Valéry entame ses études à Sète (alors orthographiée Cette) chez les... [Lire la suite]
Je n'avais pas compté combien de petits verres
Derrière ma cravate avaient dégringolé.
Mon surmoi, ce soir-là, semblait s'être envolé,
Tout s'était arrêté, autour de moi, sur Terre.
*
J'étais en harmonie avec l'élémentaire
Réalité du monde, et j'avais immolé
Mon fier cartésianisme au rêve bariolé
Qui dansait devant moi, furtif et planétaire.
*
Ce n'était pas l'état qui se nomme l'éveil,
C'était encore moins un instant de sommeil,
C'était l'avènement de la pensée sans thème.
*
Mais il ne reste rien de cet étrange instant,
Pas un vestige en moi de ce soir envoûtant,
Pas une attestation, si ce n'est ce poème.
Paysage familier
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La plaine est comme un océan,
Comme un beau jardin sont les cieux ;
Leur vide n’est point le néant,
Il est peuplé de petits dieux.
L’air est plus doux qu’une liqueur,
Un oiseau crie comme un devin ;
Un poème chante en mon coeur
Et ma coupe est emplie de vin.
L’atmosphère inaccoutumée,
Sans brume ainsi que sans fumée,
Semble d’un rivage de mer.
Vers l’horizon, la lune est ronde
Et son rire n’est pas amer :
Son ivresse n’est point profonde.
Amphore sans métaphores
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Je ne suis pas un océan,
Nous a dit l’amphore songeuse ;
Je ne contiens pas le néant
Ni la tempête ravageuse.
Mon âme n’est point belliqueuse,
Ce n’est pas un gouffre béant ;
Ma parole n’est pas moqueuse,
Mon maître n’est pas un géant.
Cette amphore inaccoutumée
Produit un écran de fumée,
Comme une brume sur la mer.
Vois-tu, sa forme n’est pas ronde,
Son vin n’est nullement amer ;
Bois-le si ta peine est profonde.
Potion des Varègues
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La potion franchit l’Océan
Dans une nef aventureuse ;
Elle porte un bidon géant
Rempli de potion savoureuse.
La boussole n’est pas trompeuse,
Qu’offrit l’évêque d’Orléans ;
Jamais la sirène pulpeuse
Ne nous mène vers le Néant.
Au long des côtes embrumées
Flottent des algues parfumées ;
Nous ne périrons pas en mer.
Autour de la planète ronde,
Nous franchissons le gouffre amer
Pour livrer cette bière blonde.