Le Rempart
À Augustus Mac-Keat, poète.
—
Car voilà, l’hyver est passé, la pluye est changée et
s’en est allée. Lève-toy, ma grand’amie, ma belle, et
t’en vien.
La Bible.I placevoll abbracciari.
Boccacio.Donnez-moi votre main, asseyons-nous, ma belle,
Sur ces palis rompus ; tiens, vois la citadelle
Au milieu des ravins ainsi qu’un bloc géant ;
De l’antique Babel on dirait une marche,
Ou, captive aux sommets des montagnes, une arche
Fatiguant de son poids l’univers océan.Des qui vive ! lointains, des cliquetis, écoute,
Entends-tu ces clameurs du fort à la redoute ?Là, des casques mouvants, des forêts de mousquets,
La herse qui gémit, le bruit des huisseries :
On dirait le donjon semé de pierreries,
À ces feux plus nombreux qu’en de royaux banquets.Tu vois, je t’obéis : de mon indifférence
Es-tu contente assez ? Pour moi, quelle souffrance !
Être seul avec toi sans t’accabler d’amours !
Non, non, ça ne se peut, tu m’apparais trop belle,
Adieu tous mes serments ; l’amitié fraternelle
N’est point faite pour nous : va, je brûle toujours !Oh ! que tu es enfant ! Respecter des sottises
Et de fats préjugés ; te courber aux bêtises
D’un monde qui nous hait, et qui fait des vertus
Dont rougirait ton Dieu ! Crois-tu de la nature
La voix folle et trompeuse ? Oh ! cesse ma torture,
Si tu neveux régner sur des murs abattus.Or cet amour auquel tu te montres revêche,
En toi tout le décèle et tout en toi le prêche ;
Le galbe de ton sein, ton regard souriant,
Ton pas vite et léger, ou ta molle paresse,
Ton organe suave et ta main qui caresse…
Tout force à raffolir le plus insouciant.Avant nous, des amants, qui, sur l’herbe discrète,
Ont passé plus heureux, sais-tu le nom ? coquette !
Qui leur dira le tien ? ce lieu ne trahit pas !
Tu pleures maintenant : oh ! délirante ivresse !
Que ton silence est doux à mon cœur qui s’oppresse ;
J’étouffe do plaisir dans l’anneau de tes bras !Toi, qui fus si longtemps écho de mon supplice,
Nuit ! prolonge pour moi cette nuit, ce délice.
Que nos tourments sont longs, que nos bonheurs sont courts !
Oui ! je la bénirais, j’embrasserais la bombe
Qui viendrait nous tuer et creuser notre tombe.
Mais la mort est pour moi sans glaive et sans secours !
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Petrus BOREL
Joseph-Pétrus Borel d’Hauterive, dit Pétrus Borel ou encore « le lycanthrope », né à Lyon, au 24, rue des Quatre Chapeaux, le 29 juin 1809 et mort à Mostaganem (Algérie) le 17 juillet 1859, est un poète, traducteur et écrivain français.
Pétrus Borel est le frère d’André Borel d’Hauterive, auteur d’un... [Lire la suite]
Cinq tours
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L’antique manoir se délabre,
Qui se détache à l’horizon ;
C’est une piteuse maison,
Sinistre sous un ciel macabre.
Les gardes ont vendu leurs sabres
Pour acheter des salaisons ;
Trop frugales sont nos saisons,
Éteints sont tous nos candélabres.
Quand souffleront les vents d’octobre,
Par pauvreté nous serons sobres ;
Nous n’avons vraiment plus d’argent.
Ainsi parlait, d’un ton lugubre,
Le Seigneur des tours insalubres ;
De tels destins sont affligeants.