Poème 'Le Pellerin' de Louis-Honoré FRÉCHETTE dans 'Feuilles volantes'

Le Pellerin

Louis-Honoré FRÉCHETTE
Recueil : "Feuilles volantes"

En souvenir d’une charmante hospitalité.

C’est un gros bourg assis sur les bords de la Loire.
Poudreux, morne, accoudé sur son coteau penchant,
Il regarde à ses pieds le grand fleuve de moire
Rouler ses larges flots de l’aurore au Couchant.
On dirait ces vieillards, au seuil de leur chaumière,
Qui, dans la paix des jours trop longtemps attendus,
Semblent suivre des yeux, au loin, dans la lumière,
On ne sait quels lambeaux d’anciens rêves perdus.
Il repose au soleil, il dort sous les étoiles;
Songeur, mais sans regrets, de saison en saison,
Il voit s’éparpiller l’essaim de blanches toiles
Que la brise du large emporte à l’horizon.
Il ignore le bruit, les chocs, la vie émue;
Il n’aperçoit, quand vient le réveil du matin,
De toute la fumée où le monde remue,
Que celle du steamer qui fuit dans le lointain.
Autrefois, dévastant la campagne et les villes,
Rasant les foyers morts et les champs d’épis mûrs,
Deux fois le noir brandon des discordes civiles
En décombres sanglants transforma ses vieux murs.
Mais le canon s’est tu; la torche s’est éteinte;
Partout la quiétude a remplacé le bruit;
Ce n’est plus le tocsin, c’est l’angélus qui tinte
Dans le beau clocher neuf du temple reconstruit.

Le villageois paisible a rebâti son gîte;
Les champs ont retrouvé leur blond manteau d’épis;
Et, si quelqu’un s’émeut, c’est qu’un oiseau s’agite
Dans le lierre qui grimpe aux vieux murs recrépis.

Silence dans la rue et calme sur la grève…
Oh! quand le cœur s’éprend des choses d’au-delà,
Pour caresser en paix sa pensée ou son rêve,
Quel coin de paradis que ce bon vieux bourg-là!

Je le revois souvent, aux heures fugitives
Où le poète, un peu comme les amoureux,
S’attarde à contempler les douces perspectives
Qu’éclaire le rayon des souvenirs heureux.

Un jour d’isolement, quand mon âme assoiffée
Cherchait la poésie aux hasards du chemin,
Fut-ce la Providence ou quelque bonne fée?
Quelque chose m’avait conduit là par la main.

Mon labeur n’eut jamais de plus fraîche retraite;
Ma méditation de plus ombreux sentiers;
Jamais je n’ai cueilli, plus tendre et plus discrète,
La fleur au doux parfum des saintes amitiés.
Nous avions là jardin, verger, pelouse verte,
Avec des murs croulant sous les pampres; vraiment
Cela formait, autour de ma fenêtre ouverte,
Un gracieux tableau dans un cadre charmant.

J’en raffolais, surtout quand l’aube, ouvrant son urne,
Semait de diamants l’or des chemins sableux,
Ou quand, le soir venu, montait l’astre nocturne
Sous le dais estompé des grands firmaments bleus.

Et ces beaux horizons aux lignes reposées,
Où mon regard aimait à vous chercher souvent,
Dans l’ombre de la nuit, lumineuses croisées
Des hauts moulins tournant leurs ailes dans le vent!

Comme ils me captivaient avec leurs silhouettes
De grands pins parasols émergeant des massifs,
Leur donjon de Buzay hanté par les chouettes,
Et leurs prés verts, plantés de vieux chênes pensifs!

Mais, au flanc des coteaux, qu’est-ce donc qui rougeoie
Et jette ces reflets fauves aux alentours?
Quels sont ces chants lointains et ces longs cris de joie
Qui mêlent leur fanfare aux trompes des pastours?

La brise, par moments, sur ses ondes fluides,
Nous apporte un bruit sourd et plein d’étrangeté;
C’est l’âpre appel d’airain des antiques druides…
Salut, belle Bretagne, à ta Saint-Jean d’été!
Souvent je crois refaire, au fil des rêveries,
Mes courses – douce trêve aux travaux épuisants -
Le matin par la lande aux bruyères fleuries,
Le soir par les chemins bordés de vers luisants.

D’autres fois, près du bord que la vague caresse,
Je reviens voir dormir la lune sur les eaux,
Sans songer si mes pas troublent dans leur paresse
Les douaniers ronflant sous leurs toits de roseaux.

Nous vivions là, pareils aux pinsons dans les branches,
Savourant le plaisir d’échanger sans rancœur,
Dans le laisser-aller des intimités franches,
Même l’humble sequin contre l’or pur du cœur.

Tous les soirs – je veux bien qu’on m’en ridiculise -
Avant le couvre-feu, solitaires passants,
Nous poussions doucement la porte de l’église
Pour aller devant Dieu rêver aux chers absents.

Je vois planer d’ici, sur notre front qui penche,
L’ombre des hautes nefs au solennel décor…
Sereine émotion de l’âme qui s’épanche,
Jamais je ne t’avais si bien comprise encor!

Enfin, avec le jour qui tombe, arrivait l’heure
Des récits merveilleux aimés du paysan :
Et le conte naïf, la légende qui pleure
Nous prêtaient tour à tour leur charme séduisant.
Puis, au travail! Ou bien, causerie en famille,
Prolongée au milieu du silence des nuits,
Pendant qu’un rossignol perdu dans la charmille
Modulait sa chanson d’allégresse ou d’ennuis.

Alors, tandis qu’au vol des vagues fantaisies,
Nous chassions la chimère aux attraits persifleurs,
Que de fois la clé d’or des chastes poésies
Nous ouvrit les jardins de l’Idéal en fleurs!

Ce temps est loin déjà; l’année aux pas rapides
A quatre fois, depuis, tourné son sablier;
Mais ces longs jours sereins et ces beaux soirs limpides,
Mon cœur, tout vieux qu’il est, ne peut les oublier.

Leur fantôme me suit comme une ombre fidèle;
Et mon rêve là-bas retourne à chaque instant,
Comme l’oiseau qu’Avril ramène à tire-d’aile
Vers l’ancien nid témoin des doux amours d’antan.

Merci, cher bon vieux bourg, pour ces beaux reflets roses
Dont se pare mon ciel trop souvent obscurci :
- Hélas! qui ne gémit sous l’ongle des névroses? -
Pour ces souvenirs-là, cher bon vieux bourg, merci!

Et toi, noble Bretagne, aïeule au cœur de chêne,
Toi qui n’as qu’un drapeau, qu’une âme et qu’un autel,
Toi dont l’antique histoire est une longue chaîne
Où chaque chaînon porte un cachet immortel;
Mère! tu sais combien j’aime tes vastes landes,
Tes bois, tes monuments, tes forêts de menhirs,
L’essaim mystérieux de tes vieilles légendes…
À toi surtout, merci pour ces chers souvenirs!

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