Le Paysage
J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détour.J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,
Illumine en fuyant l’adieu au carrefour.C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit
L’écume sur la mer, dans le ciel ce nuage.À vieillir tout devient rigide et lumineux,
Des boulevards sans noms et des cordes sans nœuds.
Je me sens me roidir avec le paysage.
1944
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- Printemps d’hiver | Pays de poésie
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Robert DESNOS
Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libéré du joug de l’Allemagne nazie. Autodidacte et rêvant de poésie, Robert Desnos est introduit vers 1920 dans les milieux littéraires modernistes et... [Lire la suite]
C'est un pays où le soleil
Est un trou noir dans un ciel mauve;
Tu y vas pendant ton sommeil,
Lors de ton réveil tu t'en sauves.
Dans ce pays, lorsque tu vois
Auprès de toi un personnage,
Ce n'est pas celui que tu crois;
Et trop changeants sont les visages
Pour qu'on puisse associer un nom
A une personne qui parle.
Ah, c'est Alfred, ah, pourtant non,
Voilà qu'il est devenu Charles.
C'est un pays où quand on prend
Un livre on n'y voit pas de lettres,
Si on les voit on ne comprend
Rien à ce qu'elles pourraient être,
Ou si on veut cartographier
Cet insondable territoire,
On en est bientôt mortifié;
Mais ceci est une autre histoire.
C'est un pays dont le sol mou
Rend la marche un peu malhabile,
Il faut forcer sur les genoux
Et par moments c'est bien pénible.
Les animaux d'un tel pays
Ne sont pas tous reconnaissables,
On ne peut en être obéi,
Certains sont vraiment haïssables.
Dans ce pays, l'instituteur
Donne ses cours à la taverne.
Mais son public est chahuteur,
N'écoutant point ses balivernes.
Et dans ce pays, les cadrans
Des horloges sont fantaisistes,
Ils montrent des chiffres marrants
Et les changent à l'improviste.
Ah, dans ce pays, les tombeaux
Ont subi du temps les ravages;
Leur aspect ne serait pas beau,
S'ils n'étaient sous l'herbe sauvage.
C'est un pays aux nuits grandioses
Mais où les jours sont un peu morts.
On vibre en une apothéose,
L'instant d'après on n'est qu'un porc.
Pays de poissons aux yeux d'or
Dont la chair est décomposée
Et qui avec de grands efforts
Veulent maîtriser leur nausée.
Intoxiqués de volupté,
Ils passeront leur vie entière
A consommer de la beauté
Qui dans le fond n'est que misère.
Point n'est de fin à leurs désirs
Sous le froid regard de la lune,
Ils se prennent sans se choisir,
Leurs joies s'effacent une à une.
Planète Sadiracandra
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Ici, jamais les gens n’auront l’air d’être vieux,
Comme un rêve est la vie dans ces heureux parages ;
Nul n’y verra jamais la fureur ni la rage,
Leurs coeurs sont aussi purs que leurs paisibles cieux.
Nulle nef ne pourra te conduire en ces lieux,
Tu n’atterriras point parmi leurs frais ombrages ;
D’ailleurs, ce paradis, c’est peut-être un mirage,
Une ruse du Diable, une farce de Dieu.
Or, rêvant d’un tel monde, on s’obstine, on espère,
On peut imaginer qu’un prodige s’opère ;
Nous sommes pourtant loin d’y croire, franchement.
Qu’importe ! Nous aimons ces fantasmes fragiles ;
Nous voulons oublier que la chair est argile,
Donc, nous nous languissons d’une vie sans tourments.