Poème 'Le Parti bonapartiste, à Joseph Bonaparte' de Hégésippe MOREAU dans 'Œuvres de Hégésippe Moreau'

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Le Parti bonapartiste, à Joseph Bonaparte

Hégésippe MOREAU
Recueil : "Œuvres de Hégésippe Moreau"

Et toi, vieillard, aussi ! tu viens dans le champ clos
Où la plume combat, où l’encre coule à flots,
Jeter aux factions, disputant la puissance,
En forme de cartel un acte de naissance !
À travers les grands noms, refrain de nos débats,
Ton nom mystérieux est prononcé tout bas.
Quelques agitateurs, ralliés pour détruire,
Soldatesque sans frein qu’on rougit de conduire,
Quêtant partout un chef pour détrôner un roi,
De refus en refus sont tombés jusqu’à toi.

Mais le géant n’est plus, et les nains de sa race
Dormiraient aisément blottis dans sa cuirasse ;
Tous ses parents obscurs, frères, sœurs et neveux,

Qui pour son héritage osent former des vœux,
De l’astre impérial satellites sans nombre,
Depuis qu’il s’est éteint sont retombés dans l’ombre.
L’orphelin dans l’exil n’a qu’un moment langui :
Sur le chêne abattu le vent frappa le gui.
L’empire, dont la chute a fait trembler les pôles,
Pour vestige ici-bas n’a laissé que deux saules :
L’un, que brûle au midi le simoun étouffant,
L’autre, pendant au nord sur un tombeau d’enfant.

Bonaparte ! où trouver dans ta biographie,
À côté de ce nom, rien qui le justifie ?
Ton glorieux aîné, dans ses obscurs cadets,
Vit dix ans une tache au velours de son dais.
Il les brodait en vain d’or sur chaque couture,
Sous leur habit de prince on flairait la roture.
Lorsque, du nord au sud, le pontife des camps
Les sacrait rois d’un jour sur les trônes vacants,
De l’orgueil fraternel leur vanité complice
Se courbait à ses pieds sous un brillant cilice.
À l’hommage des cours le dédaigneux vainqueur
Les jetait en passant, comme ce dieu moqueur
Qui livre dans l’Asie aux prières publiques
Ses excréments divins, façonnés en reliques.
Tel le sabre adoré des héros osmanlis

Découpe aux icoglans le monde en pachaliks ;
Tel secouant la peau du lion de Némée,
Hercule en fait tomber tout un peuple pygmée.

Malheur aux potentats créés par son dédain,
S’ils l’offensaient d’un mot ou d’un geste ! Soudain
Rapp courait châtier la majesté vassale ;
Et quand ses éperons résonnaient dans la salle,
Sous son manteau de roi le coupable suait,
Tremblant comme un pacha surpris par le muet !
Quel ennui t’étouffait dans l’Escurial sombre !
Sur ton lit sans sommeil tu croyais voir dans l’ombre
Flamboyer le poignard et l’œil d’un guérillas ;
Et puis, fermant les yeux, tu revoyais, hélas !
Les montagnes dont l’air enivre la poitrine,
La plaine sablonneuse et la roche marine,
Où, sans prévoir du sort les écueils inconnus,
Enfant insoucieux tu bondissais pieds nus !

Aussi, quand Dieu brisa l’idole chancelante,
Vite tu secouas ta couronne brûlante.
Que dis-je ? grâce à toi, le monde révolté
De quelques jours plus tôt data sa liberté.
Oui, l’aigle impérial, harcelé dans son aire,
Se débattait encor pour saisir un tonnerre ;

Les barbares, tremblant de profaner Paris,
S’arrêtaient sous ses murs, fascinés et surpris ;
Mais, dépouillant un rôle écrasant pour ta taille,
Par un sauve-qui-peut ! tu cédas la bataille.
Et c’est toi qui voudrais déployer pour drapeau
La redingote grise et le petit chapeau !

Non, la gloire pour toi n’eut jamais de baptême !
Non, Joseph tu n’es pas Bonaparte, et quand même !…
Quand même il reviendrait gigantesque, celui
Devant qui peuples, rois, empereurs, tout a fui ;
Quand même du tombeau le nouvel Encelade
Bondirait, et des cieux tenterait l’escalade,
Pense-t-on qu’à la soif de l’aigle renaissant
La France-Prométhée irait livrer son sang ?
O vous qui l’adorez, tribuns dont la colère
S’allume au nom du roi dans le club populaire,
C’est alors qu’il faudrait hurler le désespoir,
Sur le tableau des droits jeter un voile noir,
Et se taire ou trembler : de sa main colossale,
Qui de Saint-Cloud jadis a balayé la salle,
Il vous briserait, vous et vos tréteaux forains,
Et vous regretteriez, la baïonnette aux reins,
Ces bourreaux paternels dont le clysoir talonne
L’émeute Pourceaugnac autour de la colonne.

Vous qui crachez l’injure au mitrailleur en froc,
Avez-vous oublié que l’homme de Saint-Roch,
Flétri d’un souvenir qu’aucun exploit n’efface,
À son début sanglant nous apparut en face
Dans ce Paris qu’au jour des sanglants désespoirs
Le canon blasonna d’hiéroglyphes noirs ?
Distinguez-vous quel mot est gravé sur la pierre ?
Charles ou Napoléon ? Juillet ou Vendémiaire ?
Quel or espérez-vous, quand vos creusets hardis
Fondent quatre-vingt-treize avec mil huit cent dix ?
À vos yeux, si Brutus vous a soufflé son âme,
La race de Tarquin est une race infâme.
Crachez donc sur sa cendre abandonnée aux vents,
Votez des échafauds à ses restes vivants,
Qu’ils meurent abreuvés de lentes agonies,
Et qu’on les traîne morts aux vers des gémonies.
C’est peu : ressuscitez contre des noms maudits
Les lois dont le blasphème était frappé jadis.
Mutilez par le fer, brûlez par les acides
La bouche qui vomit les sons liberticides ;
Car, si l’on évoquait l’ombre du soldat-roi,
La liberté féconde avorterait d’effroi.
Mais il dort sans réveil, le géant de l’empire ;
L’Anglais a bien cloué le cercueil du vampire.
Qu’on n’oppose donc plus sur d’antiques pennons

L’aigle à la fleur de lis et des noms à des noms.
La science héraldique est éteinte, et la France,
En vieillissant, confond dans son indifférence
Sa race tricolore et ses blancs souverains,
L’huile de Notre-Dame et l’ampoule de Reims…

Mais, que fais-je ? et pourquoi, sur un bruit populaire,
Traîner devant ma barre un homme consulaire,
Qui, sans doute, ignorant le factum publié,
Oublieux des partis, s’en croyait oublié.
Heureux colon ! semblable au pasteur de Virgile,
Tu couronnes de fleurs tes pénates d’argile.
Dans un riche désert, que peuplent à la fois
Les révolutions et la haine des rois,
Tranquille au bord des mers, comme une écume immonde,
Tu repousses du pied le bruit de l’ancien monde,
Et si, frappant chez toi, les partis pèlerins
Pour leur pavois désert quêtent des souverains :
Insensés ! réponds-tu, quel espoir vous anime ?
Pourquoi dans son jardin troubler Abdolonyme ?
La couronne avant l’âge a blanchi mes cheveux ;
J’en connais trop le poids : il suffit à mes vœux
Que mon pré soit en fleurs et que mon champ jaunisse.
Peuples qui mendiez des rois, Dieu vous bénisse !

27 juillet 1833

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