Le Pantin de la petite Jeanne
À présent, le pantin est accroché devant
Votre table. Il est là, bien tranquille, et souvent
Il sourit. On l’a fait avec une poupée
Habillée en Pierrot. Sa taille est bien drapée ;
Puis il est gracieux comme le jour qui naît.
Il songe, avec des yeux bleu sombre. Si ce n’est
Que les rubans, les nœuds d’amour et les bouffettes
De son habit sont bleus, et ses deux lèvres faites
En vermillon, il est tout blanc, comme l’hiver.
À son petit chapeau tient un anneau de fer
Pour qu’on puisse le pendre avec un fil. Sa face
Est d’un rose charmant que jamais rien n’efface,
Et l’habit est de neige et les agréments bleus.
Il garde la douceur des êtres fabuleux :
Il est sérieux, mais avec un air de fête.
Il est blanc. Ses cheveux, qui volent sur sa tête,
Sont blancs aussi, naïve innocence des jeux !
Ils sont en ouate ; ils font comme un ciel nuageux
Sous le chapeau pointu qui lui ouvre le crâne,
Et c’était le joujou de la petite Jeanne.
Oh ! je vous tresse, fleurs pâles du souvenir !
Elle n’aurait pas eu la force de tenir
Ce jouet de fillette avec sa main trop tendre ;
Mais on avait trouvé cela, de le suspendre
Avec un léger fil au-dessus du berceau.
La douce enfant, tremblant de froid comme un oiseau,
En voyant la poupée essayait de sourire.
Ses deux mains y touchaient alors, chère martyre !
D’un geste maladif, vaguement enfantin,
Et l’on voyait trembler à peine le pantin.
C’est qu’elle était si faible, elle était si petite !
Pensive, elle ployait sous l’atteinte maudite
D’un mal mystérieux, privée encor de tout,
Ne pouvant ni marcher ni se tenir debout.
Pendant ce temps qu’elle a vécu, toute une année !
Elle a souffert toujours, pauvre rose fanée,
Qui frissonnait, brisée et blanche, au moindre vent.
Dans ses profonds yeux bruns brillait un feu mouvant
Et la douleur brûlait sa prunelle ingénue.
Mais, après, elle était vite redevenue
Charmante. Reposée après ce long effort,
Elle semblait dormir tranquillement. La mort
Bienfaisante, effaçant la tristesse et le hâle,
Avait rendu la grâce au doux visage pâle,
Et sur le petit front par le calme enchanté
Comme un lys immobile avait mis la beauté.
Elle était belle ; mais qu’elle est plus belle encore
Aux cieux ! Elle est la vie en fleur qui vient d’éclore.
Maintenant, maintenant, mère, je vous le dis,
Elle est là-haut, avec les saints du Paradis.
Elle est forte, elle peut marcher ; ses pieds sont lestes
Et s’envolent, guidés par les harpes célestes.
Son front est plus riant qu’une perle d’Ophir.
Elle a de beaux pantins d’opale et de saphir,
Et triomphante, et rose, et libre de ses langes,
Elle joue en chantant sur les genoux des Anges.18-19 avril 1863.
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Théodore de BANVILLE
Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du... [Lire la suite]
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